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L’exploitation du minerai de fer de surface dans la région de Messancy – Clémency – Athus

Texte publié dans la Chronique 27 de 2015

Les forges et la demande en fer

La métallurgie au duché de Luxembourg prend son essor au début 17èmesiècle, même si de petits ateliers de traitement du minerai de fer existaient déjà auparavant. La région avait l’avantage de posséder les deux ingrédients fondamentaux : le bois et le minerai de fer.

Les forêts étaient étendues et les charbonniers produisaient du charbon de bois, plus énergétique que le bois lui-même. Au début du 19ème siècle, le déboisement jouera cependant un rôle néfaste sur les forges. En 1811, les ingénieurs du département des Forêts estiment qu’une tonne de fer nécessite 43 stères de bois ayant donné 15 m3ou 3380 kg de charbon[i]. Il y a, à cette époque dans le Luxembourg, 46 établissements sidérurgiques dont 35 hauts-fourneaux[ii].

Les pierres ferrugineuses affleuraient sur le sol en maints endroits : il suffisait de le ramasser. Les exploitations concernent donc essentiellement, jusqu’au milieu du 19èmesiècle, le minerai de surface.

La demande en minerai va fluctuer au cours du temps en fonction de l’activité des forges. Les guerres, avec d’une part la demande en produits forgés mais d’autre part l’arrêt ou la destruction de forges influent grandement sur les besoins en minerai.

Les changements de régimes, les ouvertures ou fermetures de frontières vont également peser sur l’activité des forges.

Notre propos sera d’étudier l’extraction de ce minerai dans une zone restreinte qui englobe les territoires de Clémency, Sélange, Guerlange, Athus et Linger (appelés « bans » autrefois).

Un peu de géologie

Des couches géologiques riches en minerais de fer subsistent dans le sud du Grand-Duché de Luxembourg et dans la région frontalière de France. Le minerai riche en fer présent dans des couches profondes, appelé minette, sera extrait généralement par le creusement de galeries souterraines.

D’autres couches, également riches en fer, ont été érodées et dispersées par divers cours d’eau aujourd’hui disparus dans les temps géologiques anciens. Il ne subsiste que des alluvions : déblais de roches diverses comme du sable ou de l’argile renfermant des nodules de richesse en fer assez variable associés à des traces d’autres métaux (aluminium, manganèse), à de la silice et des oxydes de phosphore.

Ces alluvions recouvrent actuellement le haut des collines d’une région trapézoïdale à cheval sur la frontière belgo – luxembourgeoise allant de Vance à Steinfort au nord, de Halanzy à Pétange au sud ainsi qu’à Ruette. Ce sont donc des couches de surface dont l’épaisseur varie de 1 m à 10 m environ. Elles sont posées sur un socle de la Formation de Grandcourt, dont le niveau supérieur est constitué d’un grès sableux, argileux et micacé ou par une argile gréso-calcaire (Ère Secondaire)[i]. Le centre de dispersion serait à localiser à Pétange et dans le bois d’Athus. Plus on s’éloigne de ce point, moins les terres sont riches en nodules de fer[ii].

Le bois d’Athus renferme deux gîtes ferrifères aux lieux-dits Herschtberg (ou Rodendusch) et Langfeldt.

Le Herschtberg s’étend du sommet de la butte vers Linger. Le dépôt de fer recouvre une couche d’argile. Il a une épaisseur variant entre 20 cm et 10 m. Une partie du minerai a été perdue dans des remblais par suite d’une attaque irréfléchie des anciennes minières.

La couche de minerai est recouverte d’une couche de terre sableuse jaune et parfois rougeâtre de 20 cm à 6 m. Le minerai constitue, après lavage, 2/3 à 4/5 de ce qui a été extrait. La mine du Herschtberg ne doit être lavée qu’une ou deux fois parce que l’eau emporte facilement la terre sableuse.

Le fer d’alluvion de Clémency, Pétange et Bascharage donne 40 % de fonte d’affinage vers 1860.

Le gîte du Langfeldt repose sur une argile imperméable. Le gisement ne s’étend réellement que sur 2 ha. Sous une couche de terre de 10 cm à 1,5 m, on a une couche ferrifère de 25 cm à 3 m mêlée d’argile mais qui, souvent, ne dépasse pas 1 m. Il faut alors au moins deux lavages.

Un gîte analogue mais plus étendu se trouve entre Longeau et Guerlange, encaissé dans la marne de Grandcourt. On l’exploite depuis très longtemps. Le minerai est semblable à celui du Langfeld associé avec un peu de fer semblable à celui du Herschtberg. On a une couche de terre végétale de 80 cm en moyenne, une couche d’argile imperméable d’1 m environ, une couche de mine variant entre 1,2 m et 3 m puis une autre couche d’argile.

On trouve aussi des alluvions de fer hydraté dans les schistes d’Ethe à Sélange. Leur teneur en fer est un peu supérieure à 40%.

Il existe également un amas ferrifère à Wolkrange qui n’a jamais été exploité[iii].

Les maîtres de forges réalisaient des mélanges de minerais de provenances différentes.

La mine chalineuse (Differdange, Ruette) était employée dans les hauts fourneaux de Châtillon, Mellier et Habay pour corriger l’aigreur des minerais de Sélange, Guerlange et Pétange. Vers 1850, la composition d’un lit de fusion au fourneau de Buzenol comprend : 117 kg charbon, 40 kg de fondant, 60 kg de minerai d’alluvion de Guerlange – Longeau, 100 kg de minette, 60 kg de minerai de Toernich, 40 kg de mine très chalineuse de Rouvroy, 40 kg de minerai d’alluvion de Clémency – Pétange[iv].

Terminologie

Mine : dans les documents antérieurs à 1850, ce terme désigne le minerai et non une galerie d’extraction.

Minière : c’est un lieu d’extraction à ciel ouvert.

Minerai de fer tendre : riche en phosphore (c’est le cas de la zone étudiée)[1]. Il donne une fonte qui se casse facilement.

Minerai de fer fort : pauvre en phosphore (zone de Ruette, Dampicourt). Fonte dure affinée notamment pour fabriquer des armes.

Législation

Les différents régimes politiques qui se sont succédés ont généralement favorisé les forges et par conséquent la recherche de minerai de fer.

Ancien Régime (avant 1791)

Du point de vue juridique, dans le duché de Luxembourg, la réglementation du 13 août 1665 précise que le minerai appartient au propriétaire du sol ou à celui qui en a l’usufruit. Rien n’y est précisé quant à la profondeur des mines ni quant à une éventuelle expropriation. Contrairement à ce texte normatif, l’exploitation des minières est parfois soumise à la taxation du prince (monarque régnant)[v].

Au 18e siècle, le droit de tirage des mines est réservé au Prince. Les maîtres de forges s’en acquittent fidèlement[vi].

Régime français (1791 – 1815)

La « Loi relative aux mines » donnée à Paris le 28 juillet 1791[vii]précise que le propriétaire du sol possède tout se qui se trouve jusqu’à 100 pieds sous sa propriété, soit 32,5 m (au delà de 100 pieds de profondeur, il faut une autorisation de l’État pour exploiter).

La loi du 21 avril 1810 « concernant les mines, les minières et les carrières [viii]» donne de nombreuses directives :

- Les minières comprennent les minerais de fer dits d’alluvion

- L’exploitation des minières est assujettie à des règles. Elle ne peut avoir lieu sans permission.

- Le propriétaire du fonds sur lequel il y a du minerai de fer d’alluvion est tenu d’exploiter en quantité suffisante pour fournir, autant que faire se peut, aux besoins des usines établies dans le voisinage avec autorisation légale. En ce cas, il ne sera assujetti qu’à en faire la déclaration au préfet du département ; elle contiendra la désignation des lieux. Le préfet donnera acte de cette déclaration, ce qui vaudra permission pour le propriétaire, et l’exploitation aura lieu par lui sans autre formalité.

Si le propriétaire n’exploite pas, les maîtres de forges auront la faculté d’exploiter à sa place.

Régime hollandais (1815 – 1830)

Les exploitants de mines de charbon, terre ou autres produits sont exemptés du droit de patente[ix].

Les propriétaires de forges peuvent transporter du minerai vers leurs fourneaux sans acquis à caution, sans passavant et sans licence[x]. Ils bénéficient donc d’une exemption des taxes de transport.

Régime belge (après 1830)

Lors de la publication de la Convention des limites en 1843, décrivant la frontière entre la Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg, la question des laveries situées sur un ruisseau frontalier entre Clémency et Sélange a été réglée :

Article septième

§ 7 À partir de ce point, se dirigeant vers le nord-est, la limite est formée par le lit sinueux dudit ruisseau de Munsbach, qui sera mitoyen, jusqu’à l’endroit où il verse ses eaux dans un ruisseau plus grand, appelé Mühlenbach, et plus communément Eisch. En cet endroit, et à la rive gauche des deux ruisseaux, il sera planté une borne (n° 53).

Les habitants des deux pays pourront continuer, comme par le passé, à faire usage des lavoirs, pour le minerai de fer, qui sont établis le long dudit ruisseau de Munschbach[xi].

Exploitation

Avant 1500

Le travail du fer est avéré à l’époque gallo-romaine mais très peu de matériaux archéologiques subsistent.

La forge de Châtillon David possédait des baux datant du 12èmesiècle.

Nous n’avons aucune preuve d’exploitation de surface pour cette période bien que cette pratique semble évidente, tant le minerai est visible sur le sol aux alentours de la forge. Par contre, des galeries creusées dans la minette dès l’époque gallo-romaine ont été retrouvées à Differdange, Rodange et Dudelange notamment[xii].

Les premières usines seraient apparues dans la vallée du Ton vers 1400. A Habay, le premier fourneau est érigé en 1475[xiii].

Sous l’Ancien Régime (1500 – 1794)

Au 16esiècle, on note de nombreuses créations de forges en Gaume. Les religieux d’Orval reçoivent une lettre patente de l’empereur Charles II leur permettant de construire une forge et tirer des mines en décembre 1529[xiv].

Du côté grand-ducal, la seule installation est alors située à Rumelange. La sidérurgie atteindra son apogée entre 1750 et 1760, ensuite elle connaîtra une forte diminution[xv].

Vers 1600, le duché de Luxembourg comptait plus de 100 forges.

En 1617 un octroi est accordé au maître de forges du Châtelet pour tirer des mines de fer dans toute la prévôté d’Arlon.

Les invasions françaises et étrangères de 1635 et 1636, durant la guerre de Trente Ans, suivie par l’épidémie de peste, réduisirent très fortement et pour plusieurs décennies l’essor de la production locale de fer. En 1661, il ne subsiste que 33 forges[xvi]mais elles se dotent alors de hauts-fourneaux de plus en plus performants.

En 1654, Jean Teffelierer, lieutenant – justicier de Clémency, vend au maître de forges d’Ansembourg tout le minerai contenu dans 1,75 ha de terres situées près de l’étang de Garnich[xvii].

En 1666, les maîtres de forges ont le droit d’extraire librement le minerai sur les aisances communales (terres appartenant à la communauté). Sur les terrains privés ou seigneuriaux, ils doivent payer une redevance aux propriétaires. Il y aura donc parfois des conflits avec les communautés car les aisances servent généralement de pâturages[xviii].

L’approvisionnement du Pont d’Oye au 17ème siècle dépend surtout de Vance ; les maîtres de forges paient une redevance au seigneur du lieu. Le fer de Vance étant de piètre qualité et s’épuisant, ils s’approvisionnent ensuite à Halanzy et Sélange pour la production de fer tendre[xix].

Au milieu du 18èmesiècle, les maître des forges de Châtillon, du Pont d’Oye, de Bologne, de la Trapperie et du Châtelet bénéficient de concessions de trente ans permettant « de tirer des mines de fer par tous les lieux où ils pourront en trouver dans les terres ressortissantes des prévôtés en la province de Luxembourg ». Ces concessions, payantes, seront reconduites entre 1777 et 1780. Il en va de même pour les forges de Châtillon en 1779. La concession précise : « à condition d’indemniser les propriétaires où les dites mines se tireront et de faire vider et enlever les terres qui par le lavage des mines qu’il tirera, s’accumuleront dans les rivières, ruisseaux et étangs qui font tourner les moulins domaniaux et autres appartenant à des communautés ou à des particuliers. »[xx].

Les forges vont chercher le minerai de plus en plus loin. Vers 1760, par exemple, les usines d’Orval importaient 1744 charrettes de minerai provenant de Halanzy, de la région d’Arlon et de Saint-Vincent. A cette époque, la région d’Athus semble ne rien produire.

Ce sont les maîtres de forges qui se chargent de collecter le minerai et emploient donc des voituriers qui effectuent les transports.

On trouve du minerai d’Athus, Pétange et surtout Clémency aux fourneaux de Montauban et de Pierrard à partir de 1778[xxi].

En 1788, les forges de Biourge (entre Neufchâteau et Bertrix) emploient du minerai de Halanzy, Toernich et Athus. Une charrée de 12 seilles (seille = seau en bois ou en toile) coûte:

À Halanzy : 4 florins, 2 sols et 3 deniers

À Athus :     5 florins 5 sols[xxii]

Le maître de forges de Biourge, Gerlache de Waillimont, observe en 1788 que la rareté des mines est extrême. Dans le coût des matières premières de cette forge, le minerai de fer intervient pour 24 % et son transport, pour 6,5 % (la distance Athus – Biourge est d’environ 65 km)[xxiii].

En 1783, l’usine de Luxeroth s’approvisionne en fer tendre à Halanzy, Toernich, Schoppach, Sesselich et Clémency. Une charrée de minerai re