Le mouvement scout à Messancy
Texte publié dans la Chronique n° 29 de 2017
Débuts du mouvement scout
L’officier anglais Baden Powell fonde le mouvement « scout » en 1907, basé sur l’expérience qu’il a acquise en Afrique du sud dans la formation des Éclaireurs. Lors du premier rassemblement à Londres en 1909, 11000 jeunes étaient présents.
Le mouvement fait son apparition en Belgique en 1912 avec la formation de l’association pluraliste des Boy-Scouts de Belgique (BSB). Puis en 1912, c’est la création d’une branche catholique (BCS).
À partir de 1929, les unités francophones et néerlandophone se séparent. Les troupes francophones sont regroupées au sein de la Fédération des Scouts Catholiques (FSC).
Des revues créées dès 1919 et 1920 fusionnent sous le titre « Le Boy-scout belge » en 1927.
Le mouvement, qui a pris une dimension internationale, va organiser des rassemblements tous les 4 ans sous le nom de « Jamboree » ; le premier se tint à Londres en 1920.
Dans la province de Luxembourg, une première troupe est constituée à Arlon dès 1914. Une autre se crée à Athus en 1920[1]. La province comptera jusqu’à 17 troupes en 1921.
Le scoutisme au Pays de Messancy
1) Differt
Une troupe scoute est signalée à Turpange en septembre 1920, Nicolas Muller y devenant assistant scoutmaster (9èmetroupe) ; ce groupe comportait un clairon[2]. Aucun document ultérieur n’en faisant mention, on peut supposer que cette troupe fut rapidement dissoute.
À l’Institut de Differt[3], sous l’égide des scolastiques Jean-Baptiste Podevigne (infirmier, totem Loup de la Vierge), Bouilloc et Lebel (préposé au tennis), anciens membres des scouts de France, se constitue une première troupe en 1926 (peut-être déjà en 1925).
Les réunions se tiennent dans une annexe de l’ancienne ferme près du bois. Le 24 février 1929, les troupes d’Arlon, Athus, Virton et Saint-Mard se réunissent à Differt pour assister à la première messe du Père Podevigne[4]en présence de Jean Freid (Aigle solitaire), alors commissaire de district. Le Père Podevigne quittera Differt au cours de l’année 1929 pour participer à une mission en Océanie.
Un autre scolastique, Marcel François-Julien, antillais chaleureux et enthousiaste, vient épauler Jean-Baptiste Podevigne pour dynamiser cette troupe qui persistera jusqu’en 1940. Parmi les jeunes scouts, on peut relever la présence de Pierre Martin, futur archevêque de Nouvelle-Calédonie. Ces scolastiques sont encouragés dans leur entreprise par le Père Verny, supérieur de Differt.
L’abbé Adolphe Alzinger (totem Pélican noir)[5]fonde la troupe Saint-Louis à Athus en 1927 en même temps qu’une autre troupe à Saint-Mard. Si l’Aubangeois Victor Schmit fut le fondateur de la troupe de Longwy (F) en 1927, il fut épaulé dans son entreprise par l’abbé Alzinger.
Une première troupe, fondée à Athus par René Dagonnier, avait eu une existence éphémère de 1919 à 1923. La troupe Saint-Louis elle-même, ne dura que de 1927 à 1931. Il faudra attendre 1953 pour voir la constitution de la 3èmeLorraine, troupe d’Athus toujours bien active[6].
Lucien Schmit et Raymond Hesse ont tous deux fréquenté l’Unité Saint Jean Berchmans hébergée chez les Pères Jésuites d’Arlon (maison Saint François Xavier). Ordonné en juillet 1939, Raymond Hesse fut aumônier de clan de 1939 à 1942. Lucien Schmit y était routier.
Dès 1939, ils furent incorporés au 1erRégiment des Chasseur Ardennais, Raymond Hesse comme brancardier et Lucien Schmit avec le grade de caporal[7].
En décembre 1930, l’abbé Alzinger est nommé curé de Bébange où il restera jusqu’en 1945.
Il peut donc facilement épauler la troupe de Differt.
Cet ecclésiastique aura une influence prépondérante sur le scoutisme en milieu rural dans la province. En 1929, le Luxembourg est divisé en trois districts.
L’abbé Alzinger organisera notamment un rallye à Differt du 18 au 31 juillet 1931 afin de rassembler les troupes du district Luxembourg-sud. Des groupes français (Longlaville, Longwy-Haut et La Seyne-sur-Mer), luxembourgeois (Rodange et Pétange), deux scouts espagnols et tunisiens se joindront même à cet impressionnante manifestation du scoutisme provincial qui vit 107 jeunes garçons réunis près de la statuette de fonte de Notre-Dame des Éclaireurs[8].
Il y eut également de nombreux contacts avec les louveteaux et scouts de Rodange qui , descendant du train à Turpange, venaient passer la journée à Differt[9].
En 1932, l’abbé Alzinger succède au père jésuite P. Bégasse comme aumônier provincial, poste qu’il conservera jusqu’en 1940.
Au cours de l’année 1937, le projet de construction d’une chapelle consacrée à Notre-Dame des scouts dans le domaine de l’abbaye d’Orval est relancé et se concrétisera l’année suivante. De nombreux camps seront organisés à l’abbaye, tant pour des scouts de la province que pour des troupes wallonnes et bruxelloises.
2) Bébange[10]
Au cours de l’été 1931, la troupe du collège mariste de la Seyne-sur-Mer (Var) organise son camp à Differt. À l’issue de celui-ci, l’abbé Alzinger et le jeune Albert Furst qui avaient assisté au feu de camp de clôture, imaginent de créer une troupe scoute à Bébange. Une patrouille, celle des « ramiers » est constituée. Elle rassemble Nicolas Barthel, Édouard Marchal, les frères Lucien et Jean Schmit, Raymond et Albert Furst.
En 1931, des scouts de la troupe Saint-Jean Berchmans d’Arlon organisent leur camp à Bébange, invités par l’abbé Alzinger
Outre un « camp de la flamme », organisé à Bébange-même lors du congé de Pentecôte 1933 rassemblant tous les chefs de la province, plusieurs scouts de Bébange participeront, à titre individuel (Lones) aux camps de Maredsous et de Bastogne en 1932.
En juillet 1934, c’est au Pont d’Oye, hôte de Pierre Nothomb, que la troupe de Bébange organise son camp annuel.
Le mouvement cesse à Bébange en 1937.
Adolphe Alzinger, plus connu sous son pseudonyme d’écrivain « Josse Alzin », va se consacrer entièrement à la mission qu’il s’est imposée depuis plusieurs année déjà : la résistance à l’émergence du nazisme.
3) Messancy
Pendant les vacances de 1941, de jeunes étudiants du village de Messancy se retrouvent pour jouer ensemble ; au cours de ces sorties improvisées et inorganisées germe l’idée de faire du scoutisme. Le vicaire Raymond Hesse est sollicité et une patrouille « expérimentale » est créée. Des garçons plus jeunes demandent eux aussi à être admis dans la troupe. Les plus âgés, à l’origine du groupe, n’insistent pas longtemps alors que les plus jeunes s’accrochent. Les uniformes et les foulards sont confectionnés par les parents. Un aubangeois, Lucien Schmit, assisté de Léon Noël (Chef d’Unité de la 1eGaume, routier puis CC à la 1edepuis les années 1930), aide l’abbé Hesse à former la troupe de Messancy qui fit ses débuts officiels en juin 1942.
« Les débuts de la troupe n’allèrent pas tout seul, bien au contraire et nous pouvons dire ici que si la patience mène à tout, la nôtre fut tout de même mise à rude épreuve. Les notables sollicités nous accordèrent droit de cité.[11]»
La première sortie officielle a lieu le lundi de Pentecôte 1942 à Battincourt. Le 7 juillet, les trois chefs de patrouille font leur promesse. D’autres sorties auront pour cadre Differt, Habergy, le Quintenhof et Rachecourt pour celle de Noël.
Au cours de l’été, du 6 au 14 août, un premier camp est organisé à Metzert dans la grange de la ferme Raths ; c’est le boucher Nicolas Scharff qui conduit les jeunes dans la vallée de l’Attert. La question alimentaire, en pleine guerre, était cruciale. Il fallait notamment se procurer des timbres de ravitaillement pour le pain mais monsieur et madame Raths de Freylange intervinrent généreusement pour fournir l’essentiel de la nourriture à bas prix. L’abbé Feck, ancien aumônier scout, vint célébrer la messe du dimanche dans l’église paroissiale où la chorale chanta le « cantique des patrouilles ». Mais au cours du camp, c’est le Père Lamy qui officiera comme aumônier de la troupe.
La sortie du jeudi eut pour but le domaine du Pont d’Oye où les patrouilles sont accueillies par le baron Nothomb qui leur donne toute liberté d’action dans la propriété.
Le dimanche soir, en présence des villageois, la troupe organise son premier feu de camp.
En octobre 1942, une petite revue baptisée « L’Étape » voit le jour.
Les réunions se tiennent dans l’ancienne classe contiguë au presbytère ou dans un local de l’Institut à Differt. La troupe prend pour nom « Les Compagnons de Saint Jacques ». Elle comprend trois patrouilles : les Castors, les Sangliers et les Faucons.
Le chef d’unité est Lucien Schmit (Sanglier itinérant)[12]. La troupe est appelée initialement 4èmeGaume[13]. L’aumônier bien sûr est l’abbé Hesse (Hérisson solitaire). Lucien Schmit et Raymond Hesse se connaissaient bien : ils avaient tous deux été rappelés en 1940 au 1erégiment de Chasseurs Ardennais et prirent part aux combats lors de la campagne des dix-huit jours.
L’unité porte un foulard rouge et jaune. La FSC lui attribue le numéro « 4eGaume » (Bulletin Officiel de la FSC du 1-10-1942) qui deviendra la « 4eLuxembourg-Sud » (BO du 29-02-1944, le district Gaume devenant district de Luxembourg-Sud)[14].
Le dimanche 26 avril 1942, c’est la St Georges, patron des scouts. La 1eGaume d’Arlon se réunit au bois des Paresseux (Waltzing) par un après-midi ensoleillé. Elle a invité les scouts de Neufchâteau et de Messancy, ainsi que les guides GGB. Ce fut une fête magnifique de la fraternité scoute.
Le 7 juin 1942, sur le terrain de football de Messancy, les troupes de la 1eGaume et de la 4eGaume se rassemblent. C’est l’occasion de faire leur promesse pour quelques scouts de la 1eet de 3 scouts de Messancy[15].
En octobre 1942, la troupe publie une revue « L’étape ». Le 1enuméro contient un billet du père Vervier (Aumônier d’Unité 1eGaume depuis 1938) contenant ce conseil : « S’il faut nous distinguer, que ce soit moins par notre costume que par la virilité de nos vertus et leur charitable délicatesse ».
Une journée scoute à Differt (dimanche 18 octobre 1942)
« Sept heures sonnent. Malgré la bruine, nos deux patrouilles s’en vont en chantant revoir le local de la 1èreDiffert. Là devait avoir lieu le concours inter-patrouilles entre nous et nos amis. Une fois arrivés, tous, après avoir déposé leurs sacs, se mettent à jouer en troupe au local si gai, si hospitalier. À 9h, assistance à la Sainte Messe. Après celle-ci, le concours. Les CP donnent des ordres et tous se mettent gaiment au travail avec l’espoir de gagner une place d’honneur. Tous s’en vont à la recherche de bois sec et préparent les feux. Peu de temps après, le dîner des Faucons est mis à cuire tandis que les Castors bien tranquillement préparent le leur. Les Faucons avaient déjà leur potage et s’en réjouissaient lorsqu’un Faucon en se frottant les mains accrocha une barre qui dépassait. Patatras … Ce fut la fin des haricots et tous contemplent le désastre avec un hurlement. Mais vite, en souriant, ils se mettent à refaire une soupe, toutefois moins bonne.
Vers 12h30, les patrouilles ont fini le repas presqu’ensemble. Vite, ils couvrent la table d’une nappe en papier et déposent le menu dans l’assiette de chacun. Ah ! mes frères, quelle délicieuse rata ! Sanglier jour très bien ici son rôle : il ne fait que voyager, manger à une table puis à l’autre.
L’après-midi, grand jeu … Quelle bagarre … Tout à coup, le rassemblement fut sifflé. Après félicitations réciproques, un nouveau jeu tactique fut décidé. »
Parmi les B.A.(Bonnes Actions) réalisées, relevons la vente de l’agenda au profit du Service Social des Chasseurs Ardennais.
La troupe est soutenue par le bourgmestre de Messancy, le notaire Raymond de Gaucquier, qui offre un très beau cadeau à l’occasion de la Saint-Nicolas.
Elle participe régulièrement aux processions de la Fête-Dieu ou du 15 août, aux manifestations patriotiques ainsi qu’au cortège organisé pour fêter la Libération.
Les réunions dominicales commençaient par l’assistance à la messe basse puis les patrouilles montaient à la chapelle du Bois pour y prendre le petit déjeuner avant de partir, chacune de son côté, vers les activités de la journée.
Nous avons retrouvé comme membres de la troupe : Cousin René, Deboulle Nestor (staff), Demoulin Jean, Eischen Jean, Garant G., Goffin Adolphe, Goffin Narcisse, Hennico Paul, Hennico Thierry, Hoffelt Adrien, Kettels Robert, Kolkes André, Kolkes Jean, Mathieu André, Mathieu Joseph, Mathay Louis, Mathay Roger ( ? ou Mathay), Mauer Josy, Niclou Lucien, Royer Raymond, Ruar Roger, Scharff Fernand, Schrobiltgen Jean, Thill Louis.
Parmi les totems, nous avons noté, malheureusement sans pouvoir les associer systématiquement aux scouts : Chevreuil fidèle (CP des Sangliers), Hérisson solitaire (abbé Raymond Hesse), Sanglier itinérant, Léopard blagueur (CP des Castors), Héron rapide (CP des Faucons), Lion hardi, Lynx intime, Rossignol joyeux (CP des Castors), Écureuil.
Un camp sera organisé à Clairefontaine, d’autres à Orval où la troupe de Messancy rencontre celle de Saint-Mard. La troupe de Messancy y est même présente lors de l’arrivée des troupes américaines à la Libération (devant l’étang d’Orval).
Notons encore que la troupe scoute, en 1944, prépare une pièce qui doit être présentée à Noël dans la salle de la Gaîté : « Notre Dame de la Mouise ». Certains acteurs issus des routiers du « Clan Tocsin » et de la JOC de Messancy viennent en renfort. Au cours de l’offensive des Ardennes, l’armée américaine réquisitionne cette salle et la représentation n’eut jamais lieu.
Après la guerre, l’administration communale met un local à disposition pour la troupe dans la villa Clainge.
Durant les années de guerre, quelques jeunes filles de Messancy firent partie de la troupe des guides d’Arlon.Après la guerre, la troupe intègre des louveteaux dirigés par deux cheftaines, les sœurs Maggy et Gilberte Hennico[16].
En 1949, l’abbé Hesse, nommé curé à Willancourt, quitte Messancy et les comptes de la troupe sont remis à l’abbé André Arend, nouveau vicaire.
Certains scouts auraient participé à un jamborée international dans la région liégeoise.
La troupe semble avoir cessé toute activité peu après 1950. Le doyen Poiré, en fonction à Messancy depuis septembre 1945, préfère implanter dans la paroisse la J.O.C. et n’a pas beaucoup d’affinité avec le mouvement scout.
Ultérieurement, les jeunes de Messancy désireux de pratiquer le scoutisme iront s’affilier à la 3eLorraine d’Athus créée en 1953.
Remerciements :
Nous tenons à remercier bien chaleureusement Adrien Hoffelt, Lucien Niclou, Raymond Royer (+) et Paul Hennico, anciens scouts de Messancy, pour leurs témoignages et documents ainsi que Philippe Maldague, responsable du Musée international du scoutisme d’Arlon pour ses renseignements.
Christian Moïs
[1]Scaillet Thierry, Le scoutisme catholique en province de Luxembourg au cours de l’Entre-deux-guerres, in La croix et la bannière, Musée en Piconrue, Bastogne 2005.
[2]Scaillet Thierry, Le scoutisme catholique en province de Luxembourg au cours de l’Entre-deux-guerres, in La croix et la bannière, Musée en Piconrue, Bastogne 2005.
[3]Hols L. et Gigi R., Carnet de bord d’une épopée mariste en Lorraine belge, impr. Michel, Virton 2001
[4]Mertz J.B., La vie religieuse à Messancy en ce début de 20èmesièclein Messancy – Bébange, églises et paroisses, 1847 – 1997.
[5]Adolphe Alzinger, né à Aubange le 4 février 1899, fut professeur au collège Saint-Joseph de Virton de 1925 à 1927 puis vicaire à Athus en 1927 et à Saint-Mard de 1928 à 1930. Il devient alors curé de Bébange où il reste en fonction jusqu’en 1945.
[6]Clinquart G., Et la flamme brûle toujours – 75 ans de scoutisme à Athus, Athus 1995
[7]AEA Mouvement scout d’Arlon – E/4/19/1
[8]Scaillet Thierry, Le scoutisme catholique en province de Luxembourg au cours de l’Entre-deux-guerres, in La croix et la bannière, Musée en Piconrue, Bastogne 2005 et Hols L. et Gigi R., Carnet de bord d’une épopée mariste en Lorraine belge, impr. Michel, Virton 2001.
[9]Furst A., Mon curé et mon ami : Josse Alzin (1930 – 1940), 1982
[10]Furst A., Mon curé et mon ami : Josse Alzin (1930 – 1940), 1982
[11]Revue l’Étape de l’automne 1942, « en feuilletant le Tally ».
[12]Bulletin Officiel de la FSC du 10 juillet 1942
[13]Affiliation officielle publiée dans le Bulletin Officiel de la FSC du 10 juillet 1942
[14]Kelecom J., Arlon 1914-1994, 80 ans de scoutisme, édité par l’Association des Anciens Scouts et Guides d’Arlon, 1995
[15]Kelecom J., Arlon 1914-1994, 80 ans de scoutisme, édité par l’Association des Anciens Scouts et Guides d’Arlon, 1995
[16]Communication de Fernand Wagner