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Usine d’Athus, quarante ans déjà

Texte publié dans la Chronique n° 29 de 2017

Ce 5 septembre 1977, c’est un coup de tonnerre qui claque dans le ciel déjà passablement plombé du Sud-Luxembourg. L’usine sidérurgique d’Athus, la seule grande entreprise industrielle de la Province, ferme définitivement ses portes. Cette liquidation met ainsi un terme à une aventure de plus d’un siècle et, surtout, plonge 1500 familles et toute une région dans le désarroi.

Athus et le fer, c’est pourtant une vieille histoire qui débute bien avant l’ère industrielle. En effet, dès le 16° siècle, on trouve à Athus trace d’un haut-fourneau. Vers 1860, François Thomassin, seigneur de Rehon, rachète un terrain au lieu-dit Brüll et y érige un premier fourneau alimenté par le minerai de fer d’alluvion dont regorge le sous-sol dans la région et exploité à ciel ouvert. Ce fourneau est complété par une fonderie et une affinerie dépendant des forges de Herserange.

Mais trois siècles plus tard, les conditions sont réunies pour le véritable démarrage de l’activité sidérurgique à Athus. C’est tout d’abord, vers 1870, la découverte d’un immense gisement de « minette » dans le bassin de Briey (Lorraine française). Il s’agit certes d’un minerai à faible teneur en fer mais dont l’exploitation se révèle plus productive. C’est aussi l’ouverture de la ligne de chemin de fer Arlon-Athus (1862) qui permettra d’acheminer le coke pour l’alimentation des hauts-fourneaux. L’aventure peut commencer !

En 1872, les barons Fernand et Hypolyte d’HUART de Longwy, tous deux ingénieurs et maîtres des forges, acquièrent des terres à Athus et rassemblent le capital nécessaire à la constitution de la S.A des Hauts-Founeaux d’Athus.Ceux-ci sont au nombre de deux. La première année, ils produisent 60T de fonte d’affinage et 45T de fonte de moulage. Le problème de la fixation de la main d’œuvre ouvrière (Athus est alors un hameau d’agriculteurs) se pose rapidement. Le Conseil d’Administration décide donc de faire bâtir les premiers logements ouvriers face à l’usine. La nécessite de compléter l’outil par une aciérie se fait jour et en 1881, débutent les travaux de sa construction. L’entreprise s’appelle désormais la S.A. des Hauts-Fourneaux et Aciérie d’Athus.Mais, en période de récession économique et ne fabriquant que des demi-produits, l’aciérie est vite mise à l’arrêt prolongé. Une fusion avec une autre usine disposant de laminoirs est inévitable et un rapprochement est tenté vers la S.A. de Grivegnée (Liège). La fusion est effective le 2 juin 1911. La société liégeoise est dissoute et fait apport de son capital à Athus. La nouvelle société, la S.A. Athus-Grivegnée,peut investir : on construit un 3° fourneau ainsi qu’une nouvelle aciérie. Mais surtout, Athus se voit dotée des installations de laminage qui lui faisaient si cruellement défaut. L’usine entre ainsi dans l’ère de la sidérurgie lourde.

Durant la 1° guerre mondiale, l’usine est occupée et transformée en 1917 en Wagenfabrikpour le montage de chariots en bois pour les besoins de l’armée allemande. Des prisonniers russes et français servent de main d’œuvre à bon marché. Cette étrange diversification évitera cependant à Athus la destruction des installations, contrairement à l’usine-sœur de Grivegnée dont un haut-fourneau ainsi qu’un laminoir à petits fers (train marchand) seront remontés à Athus. Les années d’après-guerre voient l’accélération des conquêtes sociales suite à l’adoption du suffrage universel et des luttes du Parti Ouvrier Belge. De nombreuses lois sont votées au profit des travailleurs : liaison des salaires au coût de la vie, officialisation du chômage, journée de 8 heures et semaine de 48 heures, liberté d’association, jours de congé légaux…

Cependant, Athus-Grivegnée reste fort dépendant de l’étranger pour ses livraisons de coke. La grève des charbonnages anglais décide les actionnaires à rechercher l’alliance avec une autre société disposant de ses propres mines. Le choix se porte sur la S.A. d’Angleur et des Charbonnages belges. Le 14 novembre 1917, meurt la S.A. d’Athus-Grivegnée et naît la nouvelle S.A. Angleur-Athus. Pour la 1° fois de son histoire, le siège social de l’usine est déplacé vers le bassin liégeois. La Société Générale de Belgique, principal holding du pays, détient majoritairement le capital du nouveau groupe. C’est le monde de la finance qui pénètre ainsi le sud-Luxembourg, on est loin des actionnaires régionaux du début. Grâce à l’apport de capitaux nouveaux, l’usine d’Athus va prendre son aspect quasi définitif : un 5° haut-fourneau est allumé, on érige un nouveau mélangeur ainsi qu’un nouveau train et une centrale électrique. Durant les mois de la grande dépression (suite au krach boursier de 1929 à New-York), Athus est à la peine comme beaucoup d’autres entreprises et les licenciements sont légion. Mais l’usine passe le cap et la reprise, boostée par les énormes besoins en acier pour les usines d’armement, est exceptionnelle. Athus compte alors jusqu’à 1700 travailleurs.

Pendant la seconde guerre mondiale, l’occupant fait plusieurs tentatives infructueuses de lancer à Athus une fabrication d’acier spécial. Les réquisitions successives de personnel ouvrent une « guerre de tranchées » entre la direction athusienne et les autorités militaires allemandes. Les années qui suivent la fin du conflit sont particulièrement difficiles : pénurie de matières premières, renchérissement des coûts de production et chute des ventes. Une fois de plus, la société doit s’adosser à plus fort qu’elle et le 28 août 1945, c’est la S.A. John Cockerill,intéressée par les terrains de Tilleur propriété d’Angleur-Athus qui rachète la société.

L’usine d’Athus vivra plus de 30 ans dans le giron du géant liégeois avec ses hauts et ses bas, des années d’euphorie et d’autres de dépression, de nouvelles conquêtes sociales, des grèves et des périodes de chômage. Dans les années 60, le monde économique parle de plus en plus souvent de rationalisations et Cockerill décide de spécialiser chaque usine de son groupe. Pour Athus, ce sera le rond à béton, produit semi-fini très sensible aux aléas de la conjoncture économique (le rond est principalement utilisé dans le secteur de la construction très fragile en cas de crise). Et ce qui doit arriver arrive. Au début des années 70, le ralentissement conjoncturel consécutif à la première crise du pétrole et de la hausse du coût des matières premières, convainc Cockerill de « lâcher » sa division d’Athus. Un rapprochement est alors tenté vers l’usine voisine de Rodange. L’actionnaire principal de celle-ci, le groupe Bruxelles-Lambert, vient de la vider de sa participation rentable dans le groupe audio-visuel RTL pour constituer Audiofina. Rodange est donc exsangue et a besoin d’actifs pour trouver de nouvelles lignes de crédit. Les difficultés d’Athus tombent donc à pic pour l’entreprise grand-ducale. Le 30 mars 1973, les deux usines jumelles fusionnent donc pour s’appeler Minière et Métallurgie de Rodange-Athus.Cette alliance aux objectifs purement financiers laissera vite un goût amer aux Athusiens. En effet, avec des productions similaires, ce petit groupe sidérurgique demeure très exposé à une récession qui perdure. Athus n’y survivra pas ! Aux premières baisses du carnet de commandes, le chômage s’installe de manière plus importante à Athus qu’à Rodange. Les interminables négociations autour d’un statut luxembourgeois unique enveniment encore plus les relations entre les délégations syndicales respectives. Enfin, on assiste à un bras de fer entre gouvernement belge et grand-ducal pour l’investissement d’une nouvelle aciérie. Cette idée fait long feu et la  scission des deux entités est ouvertement évoquée. Pour couronner le tout, une étude commandée par le gouvernement luxembourgeois à l’ARBED condamne Athus. Le sort en est jeté.

Face aux évidences économiques et au blocage politique, les syndicats d’Athus appellent le 2 juillet 1977 le personnel à occuper son entreprise. Dès lors, les travailleurs mèneront durant plus d’un mois un combat exemplaire, non violent. Plusieurs manifestations spectaculaires alimenteront la presse endormie du  mois d’août : occupation des postes-frontières, blocage des pompes à essence de Martelange, occupation de la voie ferrée à Arlon, occupation de l’ambassade du Grand-Duché à Bruxelles, …

Rien n’y fait. L’usine sidérurgique d’Athus a vécu. Cependant, les résultats de l’action du personnel  soutenu par toute une région ne sont pas négligeables. Une cellule de reconversion est instaurée qui permet, durant trois ans aux salariés de garder partiellement leur traitement et de rechercher un nouvel emploi. Par ailleurs, une société de diversification économique, la Société de Diversification Belgo-Luxembourgoise, est créée. Sa mission est d’assainir le site et, surtout, de convaincre de nouveaux investisseurs. Les résultats de son action seront fort décevants et elle sera d’ailleurs dissoute. L’Europe prendra alors le relais au travers des programmes européens de reconversion industrielle. En 1985, le Pôle Européen de Développement va naître sur les friches industrielles des anciennes usines sidérurgiques de Belgique, de France et du Grand-Duché. Il sera porteur de nombreux espoirs.  Le combat des Athusiens n’aura pas été inutile[1].

Jean-Paul Dondelinger


[1]Nous tenons à remercier le musée « Athus et l’Acier » et plus particulièrement sa responsable, Anne-Marie Biren, pour les documents qui illustrent cet article.