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Les prêts hypothécaires octroyés par la fabrique d’église de Messancy du 16e au 19e siècle

LES PRETS HYPOTHEQUAIRES OCTROYES PAR DES INSTITUTIONS ECCLESIASTIQUES EN MILIEU RURAL DU XVI e AU XIX e SIECLE.

EXEMPLE DE LA FABRIQUE D’EGLISE DE MESSANCY.

Publié dans les bulletins 55, 56, 57 du Musée en Piconrue, Bastogne                               C. Moïs

Introduction

La consultation des archives de la cure de Messancy, lors de la préparation de l’ouvrage consacré à l’histoire de la paroisse 23,  permit de découvrir plusieurs sommiers  qui détaillent des rentes dues à la fabrique par de nombreux paroissiens ou leurs descendants. Ces sommiers font généralement référence à des actes notariés ou des rapports de justice locale. Nous savons ainsi que les rentes étaient liées à des prêts hypothécaires consentis à des particuliers, tradition qui persista de façon ininterrompue durant près de trois siècles, tant sous l’Ancien Régime qu’après la période française. Nous avons tenté d’analyser cette pratique par l’intermédiaire du cas particulier de Messancy mais aussi de nous rendre compte de sa fréquence dans le Duché de Luxembourg .

Nous nous intéresserons d’abord à la gestion et au financement des institutions ecclésiastiques locales pour tenter de situer la genèse et le contexte des prêts hypothécaires.

Formation et administration des paroisses

Les premiers lieux de cultes de nos régions, avant le VIIIe siècle furent construits soit par de grands propriétaires pour les travailleurs de leur domaine (églises des villae ) soit par les habitants des bourgs qui édifiaient à leurs frais un oratoire (églises des  vici ). La présence d’une église, durant la période carolingienne, est progressivement associée au territoire dont la population dépend, ébauche de la paroisse 9. Chaque église est dotée de biens fonciers – et donc des revenus qu’ils produisent – par un seigneur ou une abbaye, rarement ou partiellement par les paroissiens. Des taxes sont également prélevées sur les productions agricoles. Elles sont appelés dîmes. Le capitulaire de Thionville, promulgué en 805 par Charlemagne, stipulait déjà de façon claire leur destination : « Les prêtres recevront les dîmes et écriront le nom de ceux qui les ont payées. Ensuite ils les diviseront en trois parts en présence de témoins : la première sera pour l’entretien de l’église, la seconde pour la nourriture des pauvres et des pèlerins, la troisième pour les prêtres » 1. Dans l’esprit du Moyen Age, le propriétaire du domaine est également propriétaire de l’église : c’est le patron (appelé aussi fondateur ou collateur). Le droit de patronage, héréditaire mais cessible, l’autorise à choisir le desservant ainsi qu’à s’approprier une partie des revenus provenant des biens fonciers et avantages attachés à l’église 9. Il ne manquera pas de les percevoir et, souvent, d’abuser de ses droits. En revanche, il doit assumer certaines obligations : à lui de pourvoir à l’entretien des murs et de la toiture de la nef et de fournir la cloche, le calice et les ornements liturgiques 31. C’est un devoir que le collateur «oubliera » souvent.

Plus tard, les parts des revenus furent scindées juridiquement pour donner trois entités distinctes : le bénéfice (revenus du curé), le bureau de charité et la fabrique (revenus de la paroisse). Dès le XIVe siècle, au Duché de Luxembourg, les fabriques composées du curé et de laïques administraient les biens de la paroisse. Vers la fin du XVIe siècle, elles formaient une entité de droit 20. Le Régime français commença par nationaliser les biens des fabriques. Après le Concordat, la loi du 7 thermidor An XI leur restituent. Un décret du 30 décembre 1809 réglemente l’organisation des églises paroissiales. Un conseil de fabrique doit être mis en place. Outre des membres laïques, il comprend de droit le curé de la paroisse et le maire de la commune du chef-lieu. Il désigne en son sein un secrétaire et un trésorier. La tenue d’un registre sommier comprenant les fondations et les titres de propriété ainsi que les baux à ferme et les loyers devient une obligation légale 20.

C’est sur cette base juridique que les revenus et dépenses des paroisses sont encore administrés de nos jours.

Les revenus ecclésiastiques et leur gestion

1. Le curé

Au Moyen Age et sous l’Ancien Régime, le curé tire ses revenus essentiellement des dîmes. Ce système de prélèvement fut variable selon les époques et les coutumes locales. Bien souvent les paroissiens, eux-mêmes soumis à de nombreuses taxes et victimes des guerres et des famines, se sont élevés contre le paiement des dîmes. A Messancy, en 1638, des habitants portent plainte devant le tribunal du doyenné présidé par J. Floncel, curé d’Arlon, pour augmentation unilatérale des dîmes de la collecte 23. Ce terme «unilatéral » montre bien que la pratique normale, à cette époque, fut celle de la concertation entre les paroissiens et le curé. En principe, aucune rémunération n’est due pour l’administration des sacrements. Dans la pratique, si l’Eglise n’admet pas le paiement d’honoraires, elle tolère cependant les offrandes 27. La rémunération éventuelle d’un vicaire incombe au curé lui-même. Le curé vivra ainsi soit  du strict nécessaire, soit dans une certaine aisance selon les revenus qui lui sont alloués.

La paroisse Saint – Jacques de Messancy fut toujours sous le patronage d’un seigneur laïque. Depuis l’abbé Clayes Bock en 1449, les différents curés de Messancy pour lesquels nous possédons quelques données biographiques semblent avoir bénéficié d’un statut assez confortable. L’abbé Bock, par ailleurs élu doyen de la chrétienté d’Arlon, dota la paroisse d’une messe fondée au profit du duc de Bourgogne. La visite canonique réalisée en 1570, sous le pastorat de l’abbé Jacques Kalbfleisch, donne les revenus du curé et montre une église bien tenue. Le curé Jacques Eyschen fonde un service anniversaire en 1627. La visite canonique de 1677 rapporte que Pierre Schreiner est un homme remarquable, soigneux pour son église. Les écrits laissés par l’abbé Théodore Vance (en charge de 1697 à 1742) prouvent qu’il fut un excellent administrateur ; il puisa dans ses revenus pour embellir l’église 24. Son successeur, Jean-Antoine Heuschling, fut aumônier du Grand Duc de Toscane à la cour de Vienne avant de recevoir la cure de Messancy de 1743 à 1785 39. Le dernier desservant nommé sous l’ancien régime fut Mathias Coner. Le curé de Saint – Nicolas à Luxembourg, paroisse où il fut vicaire, appuyant sa demande pour la cure de Messancy, notait : « Il a montré des talents supérieurs au concours général où il décrocha la première place. » 24

Nous pouvons donc constater que, sous l’Ancien Régime, la cure de Messancy fut généralement pourvue de prêtres dont les revenus étaient amplement suffisants et qui se révélèrent de bons gestionnaires.

La Période française amena la disparition des dîmes et l’octroi aux prêtres d’un salaire fixe. La gestion des  paroisses fut mieux codifiée, ne laissant plus au curé la possibilité d’être seul administrateur des biens.

2. La paroisse

Si le patron ou collateur de l’église prend en charge les principaux débours afférents au bâtiment et aux ornements, le soin de gérer les frais de fonctionnement courants revient à la communauté paroissiale. Elle est représentée par des hommes sages et honnêtes, si possible instruits, généralement choisis par le curé et, sous le droit autrichien, par les officiers de justice, parfois même élus par les paroissiens 6 : ils constituent la fabrique. A sa tête siège un mambour, plus rarement deux ; c’est l’administrateur, appelé momper dans les textes en allemand, assisté par les synodaux (dénommés aussi échevins synodaux). Dès l’Ancien Régime, ils sont aussi appelés marguilliers. Cette dénomination sera plus communément reprise après le décret  français de 1802, de même que celle, toujours en vigueur, de fabriciens. Dans nos régions, ils gèrent les comptes et le patrimoine paroissial en collaboration avec le curé. Les points de vue ne sont pas toujours identiques et, inévitablement, des conflits surgiront ici ou là. Les marguilliers sont personnellement responsables des torts causés à la fabrique par leur faute. Selon le droit d’Ancien Régime, leur responsabilité était solidaire ; elle pouvait être garantie par une hypothèque sur leurs biens propres 6.  N’oublions pas qu’autrefois, la séparation entre les fonctions religieuses et profanes des biens ecclésiastiques n’était pas toujours bien définie. Le cimetière et  l’église pouvaient servir aussi de lieux de réunion, de commerce ou de réjouissance, parfois de défense 9. Lors de chaque visite canonique, les synodaux sont entendus par le représentant de l’évêque et donnent leur appréciation sur la conduite du curé.

Les premiers synodaux connus  à Messancy sont Thomas Molitor, Bernard Sartor et Jean de la Tourre mentionnés dans le relevé de la visite canonique de1570 12.

Le poste des dépenses comporte de nombreux points : achats de pain et vin de messe, cire pour les cierges, huile, statues et décorations diverses, pièces d’orfèvrerie, mobilier; frais de chauffage, blanchissage des nappes d’autel ; rétribution des chantres, du sonneur, du sacristain; repas pour le conseil de fabrique ou pour le doyen en visite; certains frais d’entretien de l’édifice comme les murs et le toit de la tour. Dès l’époque carolingienne, l’Eglise imposa aussi aux communautés paroissiales l’accomplissement de deux devoirs importants : l’assistance aux frères dans le besoin et l’enseignement 9. Leur impact financier pouvait être considérable si la paroisse entretenait une école, un hospice ou si elle devait accueillir des pèlerins.

Pour assumer toutes ces charges, la fabrique disposait de plusieurs sources de revenus.

a. La paroisse, indépendamment du curé, possédait des biens propres : terres labourables, prairies, vergers, immeubles, parfois même un cheptel 14. Les visites canoniques nous en donnent généralement le détail. Elle pouvait en retirer directement les productions (grains, fruits, foin ) et les vendre. Parfois, elle mettait ses biens en location (terres, immeubles, bétail) moyennant une annuité appelée arrentement, payable en nature (huile, cire) ou en argent. Cette pratique se retrouve notamment à Neufchâteau, Habay-la-Neuve AC, dans la région de Bastogne 14 et à Messancy RV .

b. Les quêtes réalisées tant aux messes dominicales qu’aux fêtes solennelles et aux processions constituent, avec les legs et les dons volontaires des rentrées qui ne dépendaient que de la richesse et de la générosité des fidèles.

c. Les fondations : le canon 1544 § 1 les définit ainsi «On entend par fondations les biens temporels qui sont donnés, de quelque manière que ce soit, à une personne morale ecclésiastique, avec la charge d’en employer les revenus annuels, à perpétuité ou pendant très longtemps, soit à la célébration de messes, soit à l’accomplissement de certains services déterminés, soit à l’accomplissement de certaines œuvres de piété ou de charité » 6. Dans nos paroisses, le capital de ces fondations est généralement constitué d’une somme d’argent, plus rarement par des biens immeubles. La création d’une fondation est authentifiée par un acte passé devant la justice locale ou un notaire. Elle peut également figurer dans un testament. La fabrique aura donc la responsabilité de faire fructifier ce capital pour exécuter les vœux du donateur grâce aux intérêts produits. « L’argent reçu pour la fondation et le prix des meubles doit être le plus tôt possible placé prudemment et utilement, après avis du fondateur lui-même ou des administrateurs et bénéficiaires de la fondation et, en outre, par le Conseil d’administration diocésain prévu par le canon 1520 » dit le droit canon 20.  C’est à ce stade que les capacités de gestion des mambours et des fabriciens seront  d’une grande importance.

d. Les rentes, revenus échus à date fixe, sont de natures diverses. On peut en assimiler à des loyers ou aux dîmes. Certaines maisons étaient astreintes à des rentes en nature au profit de la fabrique : céréales, huile, miel, cire.

Les intérêts des fondations étaient appelés dans certaines paroisses «rentes anniversaires ».

Enfin les annuités des sommes prêtées à des paroissiens constituaient les «rentes hypothécaires » appelées aussi «  rentes constituées », « rentes perpétuelles » ou « obligations » selon les paroisses et les époques. L’étude de ce dernier type de rente sera développée dans les chapitres suivants.

3. Les confréries

Les confréries sont des institutions laïques qui ont un lien étroit avec les paroisses, mais un lien souvent ambigu. Elles ne font pas partie, au sens strict, des institutions ecclésiastiques. Leur existence et leurs revenus sont cependant mentionnés lors des visites canoniques. Celles qui furent fondées aux XIVe et XVe siècles avaient essentiellement un but d’entraide 28. Les plus anciennes étaient dédiées au saint patron de la paroisse 11. Elles disposaient d’un autel dans l’église paroissiale et parfois de vases sacrés. Elles étaient fort indépendantes du curé, constituant souvent de «petites églises » 28. Diverses confréries étaient des associations professionnelles placées sous la protection de leur saint patron ; elles évolueront alors, après l’Ancien Régime, vers des sociétés matérielles ou d’agrément. Dans la foulée du Concile de Trente, de nouvelles confréries orientées surtout vers des œuvres de piété et de dévotion voient le jour, certaines conservant cependant un esprit de solidarité qui se manifestait principalement entre les confrères eux-mêmes. Elles  prennent des vocables plus lyriques tels confrérie de la Doctrine Chrétienne, des Saints Noms de Jésus et Marie, de la Sainte Trinité, du Saint Sacrement, de Notre Dame des Sept Douleurs. Chacune solennise une ou plusieurs fêtes pouvant donner lieu à de grands rassemblements.

Les confréries disposaient de biens et de revenus propres (dotations, droits d’entrée, cotisations, dons …). Elles n’avaient pas de compte à rendre à la paroisse. Dès le XVIIIe siècle, il arrive que leurs avoirs soient transférés vers des «bureaux des pauvres » 11. En 1792, l’Assemblée Nationale française déclarait les confréries éteintes ou supprimées. Les biens devaient être vendus ou administrés comme biens nationaux 20. Cette ordonnance ne fut que partiellement exécutée. Elles sont à nouveau interdites par la loi du 5 frimaire An VI tandis que leurs biens non aliénés et les rentes dont elles bénéficiaient étaient donnés aux fabriques par le décret du 28 messidor An XIII (17/7/1805) 20.

Certaines confréries ont aussi octroyé des prêts moyennant une rente hypothécaire, pratique reprise et poursuivie par les fabriques. L’exemple le plus typique est celui de la confrérie Saint – Michel à Neufchâteau. Depuis le XIXe siècle, les confréries, associations religieuses, ne peuvent plus avoir la qualité de personne civile et sont donc incapables d’acquérir des biens, d’en aliéner ou d’ester en justice  3 .

4. Les abbayes et ordres religieux

Les abbayes et ordres religieux avaient une gestion complexe et spécifique que nous n’analyserons pas dans ce travail. Les abbayes ont toujours possédé des biens et des revenus importants, comparativement aux paroisses. Dès le Moyen Age, elles ont prêté de l’argent à des particuliers dans le besoin, notamment après les guerres ou les épidémies : cet usage sera illustré dans les chapitres suivants.

Les rentes hypothécaires

    1. Définition

La rente est «une redevance annuelle qui représente le revenu d’un capital ou d’un immeuble aliéné. Ce revenu se nomme les arrérages de la rente. Autrefois, chaque arrérage échu s’appelait canon de la rente. Jadis, les rentes foncières pouvaient généralement en Belgique et au Pays de Liège être frappées d’hypothèque» 3. La rente constituée est officialisée par un acte enregistré par un notaire ou  par la justice. Ce type de prêt se pratiquait communément entre particuliers  30 .

Dès le Moyen Age et sous l’Ancien Régime, le terme de rente se retrouve en de nombreuses transactions dans l’acceptation de loyer, de redevance, de somme due à échéance.

2. Caractéristiques

La rente hypothécaire, dans nos régions, consistait généralement en la mise à disposition par le bailleur (crédit-rentier) d’une somme d’argent à l’emprunteur (débit-rentier) moyennant la mise en garantie de biens immeubles. Sous l’Ancien Régime, ce prêt était consenti à perpétuité c.à.d tant que le principal n’avait pas été remboursé. Contrairement au véritable prêt hypothécaire, le contrat de rente ne prévoyait donc aucun terme au remboursement. Les arrérages étaient habituellement comptés au denier vingt soit 5 % l’an. La constitution d’une rente était bien souvent officialisée par une inscription au registre de la justice locale ou par un acte passé devant notaire, parfois simplement par acte sous seing privé. La rente était garantie par un bien mis en gage : l’hypothèque. Celle-ci était constituée de biens immeubles (maison, champs, bois), quelques fois de tous les avoirs de l’emprunteur. D’après les principes du droit romain consacrés par le code civil, les héritiers du débiteur étaient tenus, chacun pour leur quote-part dans la succession, au paiement de la rente ; l’immeuble restait affecté en garantie de paiement 3. La rente s’éteignait au paiement de tous les arrérages et au remboursement complet du capital. Ce dernier, selon les contrats, se faisait en un seul paiement, moins fréquemment deux mais jamais par fractionnement. Dans les archives de fabrique de Messancy, nous relevons plusieurs rentes éteintes (remboursement du capital et des arrérages) après plus d’un siècle. Les rentes étaient généralement non rachetables mais cette disposition a varié selon les lieux et les époques. Elles furent déclarées rachetables en France par les lois du 4/8/1787 et 18/12/1790. Cette dernière loi fut publiée en Belgique par arrêté du Directoire du 7 pluviose An V (26/1/1797) 3.

La législation française va modifier les modalités de la rente pour en faire un prêt hypothécaire. De ce fait, la notion de rente à perpétuité disparaît. L’hypothèque doit être renouvelée tous les 15 ans. Il faut faire passer au débiteur un nouvel acte notarié tous les 28 ans 13. Le terme familier de « rente » subsistera cependant dans les documents paroissiaux.

  1. Rôle économique

Les moyens de crédit ont varié au cours des siècles. Au début du XVIIe siècle encore, les «lombards » prêtaient à court terme au taux de 30 à 33 %. Les archiducs Albert et Isabelle abaissent ces taux à 21 % en 1611. Ils réglementent aussi la tendance très répandue parmi les belges de placer l’argent sous forme de rentes 25.

Dès le XIII e siècle, la rente hypothécaire constituait une des formes du crédit et participait à l’organisation féodale. Les créanciers étaient souvent des monastères ou de grands propriétaires qui cherchaient à acquérir les biens qu’ils convoitaient. Au XVI e siècle, elle était considérée comme une dette personnelle. On empruntait pour réparer un immeuble, acheter une charge. Le crédit-rentier était un personnage de modeste condition, petit bourgeois ou officier subalterne qui cherchait à faire fructifier son argent 26.

La paysannerie moyenne était économiquement désavantagée, sous l’Ancien Régime, par sa position limite : elle vendait à bas prix les années de bonne récolte mais subissait directement les conséquences d’une disette. La petite paysannerie, si elle voulait se maintenir, devait pratiquer une double activité : la culture ou  l’élevage, mais en plus le jardinage ou  l’industrie locale. Ces deux catégories sociales, numériquement importantes, avaient donc régulièrement besoin d’emprunter pour leur activité propre 16. Toutes les situations de crise : impôts en nature ou pillages lors des guerres, dévastations des cultures, incendies des bâtiments, épidémies etc… vont également les obliger à rechercher de l’argent pour reconstituer leurs biens. Ils le trouveront soit chez les notaires, soit chez des usuriers, soit chez des particuliers possédant quelque fortune. Une enquête réalisée au XIXe siècle sur la condition des classes rurales en Ardenne 36 montre soit la persistance, soit la disparition progressive de ces pratiques. Les cultivateurs de Hompré répondaient : « Beaucoup de propriétés sont hypothéquées, surtout les petites propriétés acquises par des familles ouvrières nombreuses.(…)En Ardenne, on n’emprunte qu’au notaire : les sociétés de crédit n’y prospèrent pas. L’intérêt est généralement de 5 %. Il arrive parfois qu’on vende les biens hypothéqués sur expropriation. Ceux de Les Fossés , par contre, déclaraient : «  Maintenant, la propriété est rarement hypothéquée. Cela tient à ce que l’on gagne plus d’argent que dans les temps passés. On emprunte généralement chez le notaire au taux de 5 %. Les propriétés sont hypothéquées lors des partages ou des acquisitions. On ne vend pas souvent sur expropriation ».

Sous l’Ancien Régime, le notaire avait acheté sa charge. Pour nombre d’entre eux, leur activité consistait surtout en trafic d’argent. Ils prêtaient souvent  sur obligations, simples reconnaissances de dettes  dont l’intérêt n’était pas stipulé 10.

Comme nous le verrons, le bailleur de fonds pouvait être la paroisse. En  mettant une part de son capital  à disposition de ceux qui avaient besoin de liquidités, elle assumait, au niveau local, une fonction économique importante. Une paroisse prospère pouvait ainsi jouer le rôle d’une société de crédit 8. La paroisse de Oberkorn, vers 1760, jugeant qu’elle possédait assez de terres et de prairies, préféra prêter l’argent d’une importante fondation, non seulement à des particuliers mais aussi à la commune de Differdange, pour le plus grand bien de tous 18.

L’Eglise et les rentes constituées.

L’Eglise s’est toujours montrée réticente devant les prêts d’argent à intérêt, prétextant que l’argent est stérile par lui-même 20. L’usure, prêt à court terme dont les taux sont excessifs, a été réprouvée de tous temps et a même été considérée comme un crime. Mais l’Eglise elle-même, à partir du XVe siècle notamment, eut besoin d’emprunter. Après la période faste du  Moyen Age au cours de laquelle les institutions ecclésiastiques furent largement dotées par les seigneurs féodaux, une crise économique provoqua la baisse des revenus, entama les patrimoines et contraignit nobles, bourgeois et abbayes à l’emprunt. Les papes Martin V et Calixte III vont intervenir pour répondre aux sollicitations tant des grands propriétaires laïques que des monastères. Ils tenteront notamment, tout en admettant la légalité canonique des prêts et des rentes, de fixer le «juste taux » de l’intérêt. Si 10 % semblent excessifs,  une rente d’un denier pour vingt  prêtés semble licite 26. Ce taux du «denier vingt », soit 5 %, perdurera comme référence jusqu’au XXe siècle, même si des circonstances particulières ont amené quelques fluctuations. La loi française du 3 septembre 1807 fixera ce taux de 5 % comme intérêt conventionnel en matière civile 20. L’Eglise préconisera aussi la longue durée, si possible la perpétuité. La rente constituée, à taux faible,  conclue «pour toujours » différait donc nettement du simple prêt à intérêt et permettait ainsi à l’emprunteur d’avoir la conscience en paix. La pratique des rentes entrera tellement bien dans les mentalités religieuses que le père H. de Gasquet pourra écrire en 1766 : « Non seulement Jésus Christ est lui-même votre caution ; c’est encore entre ses mains divines que vous placez le capital ; pourriez-vous faire le placement d’une manière plus solide et plus profitable ? Ces sortes de fonds ne périront jamais, les intérêts en seront perpétuels » 4.

Sous le régime français, la législation imposa des modifications importantes aux pratiques anciennes. Le Code civil précisa que toute rente était essentiellement rachetable et que le terme du remboursement ne pouvait excéder 30 ans. D’autre part, le Décrêt du 30 décembre 1809 régissant les fabriques d’église précisa que : «  les revenus excédant l’acquit des charges ordinaires seront employés dans les formes déterminées par l’avis du Conseil d’Etat ». Cet avis incitait les fabriques, de même que les communes, à placer leurs capitaux en «rentes sur l’Etat » ; tout autre emploi devait être autorisé par un Décrêt rendu en conseil d’Etat sur avis du ministre des cultes 20. L’Eglise devra donc se soumettre au nouveau code de lois. Les directives ultérieures iront toutes dans le même sens. Une circulaire des ministres de la Justice et de l’Intérieur, datée du 30 octobre 1847, demandait également aux établissements publics d’employer les capitaux disponibles à l’acquisition de fonds publics nationaux 5,3. Une loi du 16 mars 1865 stipule que les placements doivent être faits à la Caisse d’Epargne et de Retraite. Les dépôts sur livrets rapportent alors 3 % l’an 13. Quand le conseil de fabrique veut faire un placement de fonds sur un particulier, il faut une délibération adressée en double à la Députation permanente 13. Les fabriciens sont alors personnellement responsables de la rentrée des capitaux et du paiement des intérêts.

Un A.R. du 14 mai 1889 rappelle que les établissements publics ne peuvent être autorisés qu’exceptionnellement à placer leurs fonds disponibles sur hypothèque et considère comme non obligatoire la clause d’un leg par laquelle le testateur prescrirait de placer sur hypothèque le capital qu’il lègue à la fabrique 5.  C’est vers cette époque que les paroisses réaliseront les derniers prêts sur des particuliers, respectant enfin les diverses législations ou recommandations en vigueur depuis 80 ans.

Les prêts octroyés par la fabrique de Messancy

Documents

a. Le livre de comptes de l’abbé Théodore Vance RV .

Le plus ancien document faisant état de rentes hypothécaires est le livre de comptes que l’abbé Théodore Vance (curé de 1697 à 1742 ) rédigea, en allemand, à partir de 1703 ; il s’assura la collaboration de Jean Nerenhausen, notaire royal à Arlon RV. La page 57 introduit le relevé des titres et des arrérages. On peut y lire : « DESIGNATION ET RELEVE des rentes  annuelles dues à l’église paroissiale de Messancy, d’après un rappel de l’église payables à la Ste Catherine le 25 novembre, issus de capitaux résultant pour une part de sommes reçues personnellement en liquide des mambours et d’autre part de capitaux hérités de leurs ancêtres et non encore remboursés. Ce relevé fut établi d’après les anciens registres par Jacobus Eyschen, prêtre, le 21 janvier 1622 parce que beaucoup de dettes sont restées comme oubliées et il est urgent et souhaitable que ces rentes paroissiales ne tombent en désuétude. Théodore Vance, prêtre à Messancy, et deux mambours  Gontes  Kirschf et Nicolaus de Breune se sont basés sur des recherches effectuées dans un registre de Luxembourg signé par de Ferrières. D’après ce dernier, les signataires reconnaissent leurs dettes et déclarent rembourser annuellement les rentes après avoir déclaré leurs biens meubles sans déroger à la généralité des particularités comme la particularité des généralités. Le tout calculé d’après l’ancienne monnaie brabançonne ».

Les pages 58 à 118 constituent un sommier de cent rentes, soigneusement numérotées. La majorité est due pour prêt d’argent, quelques-unes pour des arrentements de terres. Le plus ancien acte répertorié date de 1615. De nombreuses notes en marge permettent de suivre l’évolution du prêt, notamment la date de son remboursement. Chaque article est libellé de la façon suivante : Num 23 Sondag Wagner et Anne Marie sont redevables d’un capital de 12 reisdahler et demi sur un terrain situé à Messancy entre Joes Lampert et Nicolas Schwartz et Bernard Thoma. Ce capital, ils l’ont reçu de leurs ancêtres, une partie le 27 novembre 1623 et une seconde partie le 12 avril 1676, inscrits au registre n° 32 et 97. La rente est de 5 schillings .

Le curé Vance fait référence au travail de synthèse qu’un de ses prédécesseurs,  Jacques Eyschen (curé de 1605 à 1633), effectua déjà en 1622. On peut donc supposer, sans pouvoir avancer de dates exactes, que la tradition des prêts paroissiaux remontait au moins au XVI e siècle.

b. Etat de situation du 15 frimaire An XII RF

Le nouveau régime demande à chaque fabrique de dresser un «Etat de situation des immeubles et rentes non aliénés » en vertu de l’arrêté du gouvernement du 7 thermidor An II (25 juillet 1794).  Ce relevé sera fourni par l’administration communale le 15 frimaire An XII (7 décembre 1803). Il est clôturé par la formule : « Certifié véritable, autant qu’il est possible dans ce moment, avec le concours du curé et ansiens mambours par le Soussigné Maire de la commune de Messancÿ».

Une des colonnes reprend le nom des débiteurs des rentes, une autre la constitution des rentes avec le montant des capitaux et des intérêts en livres tournois. Différents détails sont également fournis. L’avant-dernier mambour était Jean Mendels et le dernier Charles Schmit (qualifiés de «ambedeux de Messancÿ »). Le maire déclare dans les charges : 169 anniversaires au curé ainsi qu’une somme pour faire instruire les pauvres enfants («cet article n’est pas stipulé dans les fondations et a été paÿé du reliquat des comptes »). Ni le curé ni les synodaux et le mambour ne reçoivent un paiement pour la tenue des comptes et du livre. Plusieurs rentes en nature sont répertoriées : deux en seigle, deux en avoine, une en cire et une en huile. Le maire note que «quelques particuliers ont paÿé des petits a comptes en huile et cire, les marguilliers à nommer en feront les recherches nécessaires ».

Cette liste énumère 81 rentes.
  1. Les comptes du trésorier Charles Schmit en 1809 et 1810 AF .

Charles Schmit fut le premier trésorier du Régime français. Il fut nommé le 27 novembre 1796. Un autre conseil de fabrique fut constitué suivant les préceptes des nouveaux décrets impériaux et Ch. Schmit se vit une nouvelle fois chargé de la tenue des comptes le 26 mai 1804. Il fut désigné par les termes de caissier ou de receveur. Ce n’est qu’à partir de 1809 cependant que nous trouvons trace de ses relevés annuels. Deux documents figurent dans les papiers de la fabrique. Un premier cahier, entièrement manuscrit, constitue un  sommier assez rudimentaire. Il est intitulé : «  Etat des rentes dont Charles Schmit Marguillier et receveur de la fabrique de messancy et comptable depuis le six prairial an douze. 26 mai 1804 jusqu’à ce jour 30 7bre 1809 sans y comprendre l’année courante. Le tout suivant titres au profit de la fabrique ». Il reprend un numéro d’ordre pour 78 rentes, le nom des débiteurs, le montant des annuités exprimé en écus, escalins, sols et liards, le nombre d’annuités dues et le total dû ainsi que des observations (essentiellement des dates de remboursement du capital ou l’absence de titre justificatif). Charles Schmit conclut son exercice par un commentaire dans lequel il montre l’astuce de certains paroissiens qui ont profité du changement de régime pour tenter de se libérer du paiement de leurs arrérages :  « Fait et clôturé à Messancy le 7 octobre 1809. Lecture faite, le rendant compte a signé en observant que, quoique tenu par la loi, à faire entrer tous les arrérages des 5 années antérieures à son installation comme receveur, il a eu égards pour plusieurs débiteurs en retard en leur donnant des délais pour payer lesquels débiteurs l’ont trompé dans son attente et abusé de sa complaisance en lui opposant à la suite la péremption de cinq ans de sorte que le (…) par la manière d’agir plusieurs années d’arrérages qu’il ne peut plus faire entrer aujourd’hui et demande à ce sujet les égards des autorités compétentes ». Le second document, plus détaillé mais non daté, est également un cahier rédigé de la main de Charles Schmit, joint aux comptes de 1809 et 1810. Certaines observations, d’une encre différente, se rapportent cependant à des remboursements de capitaux effectués en 1811 et 1813. La numérotation ne correspond pas à celle du relevé de 1809. Ce sont 82 actes qui sont répertoriés, accompagnés des dates de constitution (la plus ancienne en 1709), du nom des débiteurs originaires et des débiteurs actuels, de la date de l’acte et de «l’autorité qui l’a reçu » (justice ou notaire), des montants des capitaux et des intérêts libellés en francs ainsi que de nombreuses observations.

Un siècle après le sommier de l’abbé Vance, voilà donc un nouvel état des lieux complet et détaillé. Les trésoriers qui succédèrent à Charles Schmit furent : Frédéric Téwès en 1811 et 1812, Jean Joseph Demathelin du 4 avril 1813 au 2 octobre 1814, le curé Jean Baptiste Rodesch du 2 octobre 1814 au 25 novembre 1815, Jean Bernard Marlet en 1816 et 1817.

d. Etat des rentes formé en exécution de l’arrêté du 19 août 1817 RH .

Le Régime hollandais lui aussi procède au relevé des biens et revenus des paroisses. C’est le curé J.B. Rodesch qui déclare sur le document transmis à l’administration : «  il y a 133 anniversaires dont 96 étant des grand-messes et 38 basses messes. Les titres ne désignent aucune charge mais il est à présumer que ces anniversaires sont assis sur les rentes ; attendu que les particuliers en empruntant de l’argent ne se sont obligés que pour une certaine somme et que ceux-ci en empruntant de l’argent l’ont ordinairement reçu. Celui-ci qui a été remboursé par les familles qui précédemment ont été obligées de rétributions et d’anniversaires institués et que par ce moyen en renouvellement de titres, de cette manière ont négligé d’insérer les charges assises sur les rentes annuelles et la … des fondateurs est mis à côté et est prescrit.

Toutes ces rentes ont été créées au profit de la fabrique et n’ont par conséquent jamais fait partie d’aucune corporation supprimée.

  1. Sommier de 1825 AF. Comptes du notaire J.F. Tesch

Le nouveau trésorier de fabrique nommé le 14 octobre 1818 est le notaire Jean Frédéric Tesch. Il met toutes ses capacités professionnelles au service de la paroisse jusqu’à son décès le 24 mai 1844. Les comptes sont remarquablement bien tenus. En 1825, il rédige un nouveau sommier qui constitue la «section 1ère, Recettes ordinaires » du chapitre des recettes du livre des comptes de fabrique présentés en une fois pour les années 1822 à 1825. Un nouveau numéro d’ordre est attribué à chacun des actes, selon un classement alphabétique des débiteurs du moment. On en relève 69. Le  numéro d’un précédent sommier est également repris en regard. Deux versions de cette liste existent dans les comptes. L’une mentionne seulement la date de l’acte de constitution, l’autre, de plus, l’emprunteur originel et la juridiction ou le notaire devant lequel fut passé l’acte. Les mentions sont libellées ainsi : «  11 – 49 Calmes Jean de Messancy a payé neuf francs vingt quatre centimes pour quatre années d’intérêts échus le 25  9bre 1822, 1823, 1824 et 1825 d’une rente à charge originairement de Nicolas Wilette de Messancy et Suzanne Mendels son épouse suivant acte passé devant la Justice de Messancy le 2 janvier 1742, ci ………… 9, 24 ».

En section 3, dans les Recettes Extraordinaires, sont repris d’une part les intérêts non payés lors d’exercices précédents (1820 et 1821) et d’autre part les remboursements de capitaux. Ces derniers sont libellés sous la forme suivante : « 1822 Octobre jour 1er. Reçu de catherine Bockoltz femme de pierre Seyler de Messancy onze francs cinquante trois centimes en remboursement de pareille somme constituée à charge d’Elisabeth Lucas de Messancy par acte passé devant la Justice du dit lieu, le 16 novembre 1735 porté sous le N° 22 du sommier ».

Il mettra son ardeur et sa rigueur, sans état d’âme semble-t-il, à régulariser divers comptes et à récupérer tous les arriérés, n’hésitant pas, si nécessaire, à traîner les récalcitrants devant la justice.

Les intérêts perçus à l’ordinaire du budget rapportent, en 1825, la somme de 1.445, 62 f. Les intérêts dus mais non encaissés se montent à 790 f. Le remboursement des capitaux et des arrérages en retard représentent, au budget extraordinaire, 1240,10 f. Les recettes telles que les mariages, messes et funérailles apportent 231,35 f. Sachant que les dépenses ordinaires se montent à 1612 f, on peut constater que la gestion des avoirs de la fabrique permet un bénéfice substantiel. Il n’en fut pas et n’en sera pas toujours ainsi.

  1. Registres de justice et actes notariés

La quasi totalité des emprunts contractés entre 1703 et 1794, pour lesquels nous possédons des indications (soit 71 actes), ont été enregistrés officiellement. On constate que 77  % l’ont été devant la justice de Messancy OL et 23  % devant un notaire AN. Un seul est renseigné sous seing privé. Après 1803, tous ont fait l’objet d’un acte notarié AN. Il est arrivé qu’un leg promis par testament par une épouse ne puisse être honoré par le mari survivant. Celui-ci contractait alors un prêt d’un montant équivalent et payait les rentes annuelles. Le capital légué pouvait n’être réellement versé que bien des années plus tard, par de lointains descendants. Les biens mis en hypothèque sont définis aussi soigneusement que possible. Il s’agit souvent de terres, champs, labours, maisons dont la localisation occupe à elle seule une grande partie de l’acte. Parfois tous les biens meubles et immeubles du couple sont mis en gage.

g.           Les comptes de la fabrique.

Les comptes de fabrique postérieurs à 1844, présentés différemment selon les années, reprennent généralement les noms des débiteurs,  le montant du capital, la date du dernier bail, la date des échéances, le montant des arriérés ainsi que diverses observations. La dernière constitution de rente date de 1885. Le dernier remboursement d’arrérages fut mentionné en 1911.

Après J.F. Tesch , la responsabilité des finances fut confiée à Adolphe Tesch, au moins jusqu’en 1854 (les comptes de 1855 à 1867 manquent) puis à Dominique Eppe entre 1868 et 1878 et à  Jean Nicolas Kirsch de 1879 à 1911.

  1. Particularités
  1. Les actes

Les différents documents consultés nous ont permis de répertorier 305 actes de prêts rédigés entre 1615 et 1885. Certains prêts ont fait l’objet de plusieurs actes notamment pour les confirmer au conjoint ou aux héritiers. Nous n’avons pu dater avec suffisamment de précision que 252 pièces. Les sommiers font régulièrement état d’actes originaux perdus ou inconnus.

Sous l’Ancien Régime 77,5 % des actes ont été enregistrés dans les œuvres de loi par la justice de Messancy, les 22,5 %  restant ont été passés devant un notaire d’Arlon ou de Clémency. La durée moyenne du prêt, pour cette période, est de 75 ans avec pour extrêmes 25 et 111 ans ; nous relevons pour des actes passés au cours du XVIIIe siècle, 7 prêts qui ont atteint ou dépassé 100 ans. A partir de 1803, la durée moyenne descend à 15,5 ans, les extrêmes étant de 1 et 60 ans.

Les prêts n’ont jamais été accordés qu’à des membres de la communauté paroissiale de Messancy (Messancy, Longeau, Bébange, Differt). Seuls quelques uns, postérieurs à 1842, concernent des habitants de communes voisines. Les héritiers redevables d’intérêts peuvent, bien entendu, habiter d’autres villages.

Ce sont en majorité des couples qui empruntent, chaque époux étant caution pour l’autre. Parfois l’homme seul ou la femme seule passe l’acte; dans quelques cas, c’est un groupe de plusieurs personnes.  L’âge du débiteur est variable : si l’on trouve un acte passé par un homme de 27 ans, c’est cependant la tranche comprise entre 40 et 55 ans qui est la mieux représentée. La région étant essentiellement agricole, il est naturel de trouver principalement des cultivateurs. Les autres catégories socio – professionnelles sont aussi présentes : manœuvres, cloutiers, cordonniers, tailleurs d’habits… Nous n’avons trouvé aucun prêt octroyé à l’un des seigneurs du lieu.

Si nous classons les actes par décades, nous obtenons le tableau ci-dessous. Deux périodes sont particulièrement pauvres : de 1641 à 1670 d’une part, de 1711 à 1730 d’autre part. La première correspond aux suites de la Guerre de Trente Ans qui dépeupla une bonne partie de nos régions. La guerre de Succession d’Espagne, de 1701 à 1714, associée à de mauvaises conditions climatiques apporta également la désolation dans le Duché de Luxembourg. L’avènement de la Maison d’Autriche en la personne de Charles VI ramena la paix mais il faut attendre 1730 pour constater une reprise des emprunts dans la paroisse.

Les périodes les plus fastes vont de 1621 à 1630, principalement l’année 1624, de 1691 à 1700 et 1811 à 1830, surtout à partir de 1818.

Les emprunteurs signaient les actes essentiellement en novembre et décembre. Au XVIIIe siècle, janvier et mars connurent aussi une importante activité. Les mois de mai à septembre sont très calmes. Quant au remboursement, il intervenait dans 20 % des cas en novembre puis essentiellement au cours des mois d’avril, mai, juin et septembre.

La date de paiement des arrérages prévue dans les actes a toujours été voisine de la Sainte Catherine. Avant 1810, nous trouvons 67 % d’échéances au 25 novembre, 24 % le premier dimanche après la Sainte Catherine et seulement 9 % à la date anniversaire de la signature de l’acte. Après 1810,  la seule date retenue est le 25 novembre. A la Sainte Catherine, tous les fruits sont rentrés, les semailles sont terminées, les grains sont battus et les jeunes bêtes sont vendues. Le cultivateur sait donc de quelles liquidités il dispose et peut payer ses dettes ou envisager des investissements. En 1712, les comptes de l’église de Messancy étaient rendus par les synodaux le dimanche après Sainte Catherine. En 1731, ils le sont à la Saint André (30 novembre) 24. Nous savons aussi que le 25 novembre était fête chômée dans la paroisse et, dès le XVIIe siècle,  solennité de la confrérie de la Sainte Trinité et occasion d’un grand rassemblement des paroissiens 23. Les paiements d’intérêts se faisaient généralement au domicile du trésorier de fabrique.

Lorsque le capital était remboursé, la somme figurait dans les recettes extraordinaires de la fabrique. De nombreux actes précisent que le remboursement doit s’effectuer en une seule fois, plus rarement en deux tranches. Ces clauses sont toujours respectées. Les débiteurs ne sont quittes que s’ils payent également toutes les annuités dues jusqu’à la date du remboursement. Celui-ci pouvait être différé pendant des décennies en raison  même du type de prêt « à perpétuité ». Les arrérages sont soldés, selon l’aisance des emprunteurs ou les possibilités financières de l’époque, soit ponctuellement soit de façon irrégulière.

Sous l’Ancien Régime, quelques rentes étaient libellées non pas en monnaie mais en nature

(cinq chopines d’huile, un bichet de seigle, un bichet de grain..). Parfois tardivement (après 1825) les trésoriers de fabrique ont converti la valeur de ces biens en francs. Au cours des siècles, diverses conversions monétaires ont également été appliquées pour le remboursement des capitaux ou la valeur des arrérages. Des Reisthaler et Stüber au début du XVIIIe siècle aux écus, escalins, sols et liards ou aux livres tournois à la fin du siècle pour passer aux francs sous le régime français, aux florins sous le régime hollandais et enfin aux francs belges à partir de 1830.

Celui qui contractait un emprunt par le moyen de la rente hypothécaire engageait donc presque toujours ses héritiers sur plusieurs générations. Les partages d’héritages ont parfois nécessité de nouveaux actes pour définir la part revenant à chacun et modifier éventuellement les clauses de remboursement. On comprend aisément que des annuités et, pire, le remboursement d’un capital provenant de dettes contractées par ses aïeux, parfois ceux du conjoint, ne réjouissaient pas les débiteurs.

Le motif qui amenait un paroissien à contracter un emprunt n’est jamais consigné dans l’acte ou renseigné dans les documents paroissiaux. Nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses. Les archives notariales ne mettent pas en évidence des achats immobiliers dans la période qui suit la signature d’un acte de prêt. Nous pouvons cependant imaginer que les paroissiens empruntaient surtout pour acheter des terres, agrandir leur ferme ou, après des périodes de troubles, pour réparer les dégâts aux bâtiments et reconstituer le cheptel. Un emprunt pouvait aussi servir à doter une fille à marier ou un garçon entrant dans les ordres. Dominique Stoffel, né en 1716, est ordonné diacre en 1747 et prêtre en 1748. Sa tante Marguerite, épouse de Henry Watry, contracte une rente en 1742. La raison pouvait en être le paiement des études de son neveu.

  1. Richesse de la paroisse et qualité des gestionnaires.

La capacité de prêter de l’argent de façon continue pendant trois siècles suppose sinon l’opulence, au moins une certaine aisance. L’examen comparatif des taxes et impôts dus par différentes paroisses voisines ne semble cependant montrer aucune richesse particulière de Messancy.

14e s Des rentes pour prêts ont été retrouvées dans plusieurs paroisses du doyenné d’Arlon mais, semble-t-il, dans des proportions bien moindres qu’à Messancy.
  1. Origine des fonds

Nous n’avons pas de précision sur l’origine des fonds prêtés aux XVIIe et XVIIIe siècles. Il paraît logique de penser que, comme cela est parfois précisé dans les actes du XIXe siècle, les sommes prêtées provenaient majoritairement de l’argent des fondations : « Henry Meyer cultivateur et sa femme Marie Wagner constituent une rente annuelle de 30 f(…). Cette rente a été constituée et contractée moyennant une somme principale de 600 f (283,52 florins). Cette somme provient, savoir 240 f de la fondation faite par feu Jean ( ?), 120 f de la fondation faite par défunte Barbe Weins et 80 f à rembourser à la dite fabrique » ( acte du 12/10/1817) ou « … Nicolas Gauché, cultivateur demeurant à Messancy et Marguerite Musty son épouse(…) acceptent une somme de trois cent quarante neuf florins (…) Cette somme provient savoir : Cent vingt francs de la fondation faite par Barbe Hans veuve de Jean Fonck, vivant cultivateur demeurant à Messancy, pour l’institution d’un anniversaire d’une grand messe annuelle pour le repos de son âme et de ses plus proches parents et le restant de remboursements faits à la dite fabrique (…) » ( acte du 25 novembre 1818).

  1. Récupération des capitaux et intérêts non payés

Les débiteurs n’honorent pas toujours leurs échéances. Les observations  en marge des relevés signalent de temps à autre : « procès à leur sujet » ou « il n’y a point de titre. Le dit Schmit qui est le rendant compte avoue cependant avoir emprunté la somme capitale de la fabrique il y a 22 à 23 ans ».

Les trésoriers n’hésitaient pas à recourir à la justice pour forcer les débiteurs à payer leurs dettes. En 1818, Jean Bernard Marlet, après avoir menacé Jean Welschen , passe avec lui un compromis devant le notaire Tesch AN. Ce texte reprend les conditions et termes généralement employés dans les actes de constitution.

« … Lesquels comparant ont dit 1° que Mr Marlet était au point de traduire le Sieur Welschen en justice afin d’être condamné en sa dite qualité héréditaire à payer à la fabrique 1° la somme de cent vingt cinq florins vingt trois cents faisant deux cent soixante cinq francs trois centimes pour vingt cinq années d’intérêt (…) 2° la somme de cent huit florins quatre vingt neuf cents ou deux cent trente francs quarante cinq centimes en remboursement de la moitié de la dite somme principale pour avoir été en retard pendant vingt cinq ans d’en paÿer les intérêts stipulés 3° et finalement la somme de quatre florins deux cents ou huit francs cinquante deux centimes en remboursement de pareille somme pour frais de bordereaux et d’inscription aux hypothèques ; 2° que le Sieur Welschen n’avait aucune objection à faire aux demandes formées à sa charge, que cependant il ne se trouvait pas à même d’ ÿ satisfaire présentement et demandait délai à paÿement.

En conséquence les parties pour éviter les frais d’une poursuite ont fait l’atermoiement ci-après :

Le Sieur Jean Welschen promet et s’oblige lui et son épouse solidairement l’un pour l’autre, un

d’eux seul pour le tout sans division ni discussion et leurs héritiers ou aÿant-cause sous la même solidarité de paÿer et rembourser à la dite fabrique de Messancÿ entre les mains et au domicile de son receveur temporel le vingt cinq novembre de l’année mil huit cent vingt huit toutes les somme réclamées par ces présentes à sa charge, formant ensemble celle totale de deux cent trente huit florins quatorze cents ou cinq cent quatre francs en un seul paÿement en espèces d’or ou d’argent aÿant cours et non autrement de convention positive et expresse ; à la charge encore d’en prévenir le receveur trois mois d’avance ou d’en paÿer les intérêts des trois mois qui courront après le remboursement effectué (…) ». (13/12/1818)

Les archives de fabrique contiennent aussi des exploits d’huissier tels celui rédigé le 21 mars 1825 : « A la requête du sieur Jean Frédéric Tesch Notaire Roïal à Messancy en sa qualité de trésorier de la fabrique de l’Eglise paroissiale dudit lieu, authorisé par arrêté de la Députation des Etats en date du trente et un décembre dernier, qui continue son domicile en celui du sieur Bockholtz, avoué licencié à Luxembourg, qui postulera pour lui

Moi Michel Breyer huissier immatriculé au tribunal de première instance de l’arrondissement de Luxembourg demeurant à Arlon soussigné me suis rendu en la demeure d’Elisabeth Bidange veuve de feu Antoine Wiltz demeurant audit Arlon, et de là en la commune dudit Messancy au domicile de Jean Pierre Heuertz à titre de feuë son épouse Barbe Bidange ou parlant au domicile de la première à sa personne et en celui du second à lui même, je leur ai donné assignation à comparaître devant le tribunal de première instance susdit séant au palais de justice dudit Luxembourg pour résumer et poursuivre les errements de sa cause y pendante sur contrainte décernée à leur charge le premier novembre mil huit cent sept rendu exécutoire par Monsieur le Président dudit tribunal le vingt six du même mois et leur signifié par exploit de l’huissier Nothomb du trois décembre suivant enregistré à Bascharage le cinq du même mois contre laquelle ils ont formé opposition (…) condamnent savoir la première à un tiers et l’autre aussi à un tiers des intérêts échus (…) en vertu du constat de constitution de rente passé devant ceux de la justice foncière de Messancy le vingt sept novembre mil sept cent neuf 2° … » .

Il est compréhensible qu’en 1825, de lointains héritiers tentent de se défaire d’une charge financière qui leur est échue à la suite d’un acte passé en 1709, d’un autre en 1729 et d’un troisième en 1733 . Mais le trésorier – notaire ne l’entend pas de cette oreille. La loi, c’est la loi !

Les comptes annuels détaillent aussi certains débours au profit d’huissiers ou d’avocats pour frais de justice.

  1. La fin du régime des prêts hypothécaires paroissiaux

Malgré les différentes législations mises en vigueur depuis l’avènement du régime français, imposant aux fabriques de placer leurs avoirs en bons d’ Etat, la tradition s’est poursuivie pendant la majeure partie du XIXème siècle. Les fabriciens sont conscients de leurs nouvelles obligations mais il leur faudra près plusieurs décennies pour changer leurs habitudes.

Ce n’est qu’en 1869 que l’on voit apparaître des placements en « rentes sur l’Etat », acquises auprès de la banque Berger d’Arlon. Il ne représentent encore que 25 % des fonds disponibles. Les obligations émises par l’ Etat rapportent à cette époque 4,5 % l’an.

En sa séance du 8 avril 1877, le conseil de fabrique insiste encore auprès de la Députation permanente pour obtenir l’autorisation de placer sur des particuliers, estimant que les biens hypothéqués offrent toutes les garanties. En 1882, un débiteur rembourse le capital dû et quatre autres font savoir qu’il en ont également l’intention, le tout représentant une somme de 7190,74 f que la fabrique souhaite placer en rentes d’ Etat. C’est en 1885 que le dernier prêt à un particulier est consenti; il sera remboursé en 1897. La tradition ne s’éteindra cependant qu’en 1920 par le remboursement des deux derniers prêts en cours, l’un datant de 1860, l’autre de 1877.

V. La pratique des prêts ecclésiastiques dans le Duché de Luxembourg

Les prêts d’argent sur caution hypothécaire octroyés par des institutions ecclésiastiques ont existé dans le duché de Luxembourg depuis le Moyen Age. Nous en donnerons quelques exemples qui prouve que cette pratique fut répandue sur tout le territoire. Il est vraisemblable qu’elle a varié de façon importante selon les lieux et les époques. Seule une étude plus fouillée pourrait le préciser.

  1. Ordres religieux, abbayes

Les abbayes ont probablement joué un rôle important dans le crédit auprès des particuliers, bien avant les fabriques. Les documents ne sont pas très nombreux et sous–estiment certainement la réalité.

Dès le XIV e siècle, quelques chartes attestent du phénomène :

Le 5 février 1323, Colinus, échevin d’Echternach et Agnès sa femme, assignent à l’abbaye de St Willibrord une rente annuelle de quatre livres petits tournois sur leurs biens, en retour d’un prêt de 80 livres 37. Nous y trouvons déjà le taux du denier vingt. Le 12 février 1355, «.. Franchin li bouchier, fils de Wiry le Budel, bourgeois de Lucembourg, et Agnes sa femme, ont reconnu devoir au couvent du Saint Esprit à Lucembourch vingt deux livres de Tours, pour lesquelles ils paieront un cens annuel de 21 sols bons deniers comptés à 18 petits tours, monnaie coursable à Lucembourch pour 12 bons deniers à payer sur une maison séante à la grande halle…» 38. Le 23 décembre 1355, Wauthier d’Aischpalt, chevalier, fait savoir qu’il doit au couvent du St Esprit à Luccemburch cent et soixante livres de bons et petits tournois, monnaie coursable au pays, pour laquelle somme il a assigné sur ses revenus en la ville, ban et finage d’Ettelbruck huit maldres à la mesure de Luccemburch et quatre livres de monnaies 38. En 1376, Guillaume, seigneur de Berwart et Ruette, reconnaît devoir au couvent de Munster près Luxembourg une somme de 271 florins de Mayence pour laquelle il fournira une rente annuelle de sept maldres de seigle à fournir à la St Martin et un porc le jour de la St Etienne 38.

Les relevés de chartes ultérieurs ne nous apportent plus beaucoup de renseignements jusqu’au XVI e siècle. Le 16 janvier 1550, la justice de Sélange constate que « Nickel Schneider de Selingen et Eve, conjoints, ont reconnu avoir reçu en prêt de frère Jean Canencle, prieur et du couvent des Carmes à Arlon la somme de trente francs à 12 sols pièce pour laquelle ils paieront annuellement à la St Etienne 18 sols jusqu’au remboursement du capital, et en ont assigné en hypothèques les prés et les terres arables sis aux lieux dits (…) » 35.

Sous la prélature de Charles de Benzeradt (1668 – 1707),  à la fin du «Siècle de malheur », l’abbaye d’Orval pratiqua de façon importante le prêt aux particuliers. « Alors du voisinage, même de Musson, Thiaumont, Arlon, de plus loin encore, ils arrivaient timidement à Orval emprunter un peu d’argent pour acheter les objets de première nécessité. L’abbaye devint ainsi une sorte de banque régionale et populaire qui pratiquait le prêt sur nantissement. Elle donnait de l’argent et recevait en échange de nombreux terrains.(…) Quel que fut le mobile, intérêt ou charité, les achats et échanges se multiplièrent d’une façon prodigieuse et bientôt les donations et legs suivirent ce mouvement incroyable » 33.

  1. Confréries

Les comptes des confréries mériteraient une étude plus spécifique. Les prêts ont probablement existé de manière régulière entre les confrères eux-mêmes, de façon plus ponctuelle à des particuliers non-membres bien que l’on puisse parfaitement comprendre que cette activité ait pu rentrer dans les attributions d’une société d’entraide sociale. N’oublions pas que le taux de 5 % était particulièrement bas au regard de celui des usuriers.

Le registre de la confrérie des merciers de Neufchâteau, placée sous le patronage de saint Michel, nous apporte de précieux renseignements AC . Les prêts consignés s’étendent de 1739 à 1774. Epinglons-en deux : « Jacques Henquin de Neufchâteau a eu constitution de rente deux écus pour lesquels il paie annuellement dix sols au métier des merciers du lieu et pour foi il a signé ce 30 septembre 1739 en l’assemblée des confrères » ; « l’an 1754 avons remis en rente à J.B. Trigalet et J.B. Parot tous les deux du même lieu à chacun la somme de vingt escalins lesquels se sont rendus caution solidaire l’un pour l’autre. De laquelle somme paieront la rente d’an en an le jour St Michel lesquels cinq écus sortent de la somme de 17 écus et 35 sols nous remis en main par le maître en fois de quoi ils ont signé… »

Dans la paroisse de Basse Yutz, près de Thionville, la confrérie Saint Nicolas a pour but après la guerre de Trente Ans « …d’abord de promouvoir le culte de saint Nicolas…ensuite secourir les habitants par des avances en argent pour leur permettre d’accéder à la reconstruction » 7. Les revenus proviennent du droit d’entrée des membres ( 3 schilling en monnaie d’empire ou 22 Stüber en monnaie luxembourgeoise), de quêtes et de dons. Vers 1720, 25 emprunts sont répertoriés et 75 vers 1830. La confrérie cessa son rôle de créancier vers 1870 7. Dicop peut noter : « Du point de vue matériel, cette mutuelle avant la lettre a joué un rôle social vraiment bénéfique ».

Des rentes sont également attribuées à la confrérie Saint Sébastien de Ruette RH .

Les archives paroissiales de Habay-la-Neuve mentionnent trois prêts provenant de la confrérie ( du Saint Sacrement ?) : l’un en 1732, un autre en 1759 au profit de Jean Thomas, le troisième en 1771 pour Jean Lietard.

Schon signale que la confrérie Saint Corneille de Leudelange, déjà mentionnée en 1482, ne prêtait guère d’argent à des particuliers 32.

Sous le régime français, les rentes dues aux confréries St Adrien, St Martin, du Rosaire et des Trépassés d’Arlon sont soigneusement répertoriées mais aucune ne semble être liée à un prêt d’argent.

  1. Fabriques

En 1296, le curé de Freylange prête de l’argent à Lambekin, bourgeois d’Arlon 22. Dans les  procès-verbaux du tribunal décanal d’Arlon sont consignés des prêts accordés par le doyen Julien Floncel en 1640 ; un bourgeois se porte garant sur ses biens 2. Ces prêtres le faisaient-ils en leur nom, sur leurs biens propres ou sur les biens paroissiaux ?

Au XVI e siècle, les paroisses de la région de Bastogne pratiquaient l’arrentement (location) de leurs biens, notamment le troupeau ; la fabrique pouvait aussi compter, au titre des recettes, sur les intérêts des sommes placées 14. A la fin de ce même siècle, la population rurale est dans un si grand dénuement qu’elle quémande de l’argent « à un seigneur, à un curé, à une fabrique ou à un riche notable du village. En contrepartie, elle engage des terres  » 15. Dorban, parlant des paroisses de la Haute-Semois, déclare : « La fabrique possède ses terres labourables, ses prairies…dont le loyer lui assure les revenus. Suivant la valeur des fabriciens et la générosité des  paroissiens, l’institution peut devenir prospère et jouer même le rôle d’une société de crédit » 8. Au XVIII e siècle, le cas se présentait notamment à Tintigny, Izel et Florenville.

Logelin-Simon rapporte le cas particulier de la paroisse d’Oberkorn qui, recevant au XVIII e siècle une importante fondation, se trouve confrontée à l’utilisation judicieuse de ces fonds 18.  « Comme la paroisse était à l’époque assez riche en terres et prairies, on n’agrandit pas sa propriété territoriale. L’argent fut prêté à des particuliers, au taux d’intérêt de 5 %. » Une première liste de débiteurs est établie en 1761 ; y figure notamment la commune de Differdange elle-même.

Les archives de cures AC font régulièrement mention de « rentes ». Ce terme général est couramment employé pour désigner toute somme due. Il n’est pas toujours possible d’établir un lien entre le relevé de rentes et des prêts hypothécaires. Certains registres sont cependant suffisamment explicites. Voici quelques exemples :

Bellevaux : un prêt de 30 écus à Etienne Robinet et son épouse en 1755 (rente au denier vingt, remboursement en une fois, hypothèque sur tous les biens meubles et immeubles). D’autres actes en 1791, 1806 et 1817.

Chenois : quelques prêts au XVIII e siècle

Habay-la-Neuve : l’arrentement est pratiqué au moins de 1777 à 1828. Les prêts de capitaux figurent sur 54 actes étalés entre 1732 et 1809. Donnons en exemple celui du 29 prairial an XIII :

« Pierre Jacques  Schintges de Habay-la-Neuve, manœuvre, doit pour un capital de 69 F 15 centimes sur la maison qu’il a acquise de J. Hotain, vitrier …. »

Habay-la-Vieille RH :  un document du régime hollandais recense 41 « biens ou débiteurs de rentes » ; bien qu’il n’y ait pas de prêt nommément désigné, une hypothèque et un revenu sont chaque fois mentionnés.

Habergy RF: un document de l’an XII  mentionne 5 rentes (« les contrats de plusieurs de ces débiteurs ont été perdus par les circonstances de la guerre »)

Heinstert : de 1687 à 1778, 49 actes, généralement passés devant notaire, se rapportent vraisemblablement à des prêts

Longlier : la fabrique, par l’intermédiaire de son  mambour  Henry Modard  ouvre une rente de 56 sols à Nicolas Genin en 1770 puis  prête 40 écus 56 sols à Lambert Michel le 12 octobre 1780

(rente au denier vingt, capital remboursable en une fois, hypothèque de tous les biens meubles  et immeubles). Un bordereau de créance datant du 15 prairial an  VII pour Nicolas Denis de Wideumont mentionne un acte de rente au profit de la paroisse passé le 12 novembre 1768. On trouve 7 actes entre 1780 et 1834.

Neufchâteau : la fabrique reprend à son compte, après 1774, les prêts octroyés par la confrérie des merciers. Elle continue la tradition au XIX e siècle ; des échéances de rentes sont encore notées en 1913. Elles sont généralement payées à la Saint-Michel ou à la Saint-Martin. La fabrique pratiqua également l’arrentement pour ses terres.

Pussemange : une soixantaine d’actes de prêts entre 1717 et 1777. Citons en exemple : « Cejourd’hui six du mois d’avril 1771 pardevant nous mayeur et échevins de la justice de pussemange, est comparu thomas Lamotte bourgeois résidant audit lieu, lequel nous a déclaré avoir reçu de la fabrique de léglise St hilaire par les mains de Nicolas colas, mayeur dudit lieu, une somme de quatre vingt et dix livres argent de france, ledit thomas Lamotte a promis rendre et remboursé a Ladite fabric ou d’en payer la rente au denier vingt a commencer dans un an datte de cette et continuer ainsi donné a autre jusqu’au parfait remboursement qui se pourra faire a toujours en deux remboursements égaux, et pour assurance tant du capital que de rente à échoir ledit thomas Lamotte a hypotéqué ses biens meubles et imeubles par tous ou par … être situé ensemble est comparu jean huart lequel a déclaré se rendre caution pour la susdite somme et a hypotéqué ses biens meubles et immeubles…. »

Udange : le livre des rentes de 1808 recense 38 débiteurs. En 1868, les capitaux placés chez 6 particuliers donnent 5% l’an pour un total de 1966 F. A partir de 1869, c’est en placements « Etat belge » que la fabrique fait fructifier ses avoirs.

Villers s/Semois : de 1716 à 1784, les registres font état de 69 actes. Relevons celui qui fut déclaré devant la justice du lieu en 1719 : « Nicolas Thiry de Villers doit six écus à la fabrique dudit Villers comme paraît par l’acte de vendition (sic) sous faculté de rachat d’un bien prez situé sur le finage dudit Villers au lieu dit Chambrettes ».

Wolkrange RF : un document daté du 30 janvier 1808 détaille « l’état des rentes de l’église paroissiale de Ste Croix supprimée dont les titres ont été remis à Mr le maire d’Arlon par les marguilliers de la succursale de Wolkrange ». Ces rentes sont au nombre de 65. Le tableau reprend le nom des débiteurs des rentes, leur domicile, le nom des fonctionnaires qui ont passé l’acte, la date de l’acte, la date de l’échéance de la rente, le montant du capital et le montant de la rente. L’acte le plus ancien remonte à 1701, le plus récent à 1796. Le jour de l’échéance est très variable, généralement fixé à la date anniversaire de l’acte. Celui-ci fut passé majoritairement devant notaire mais aussi devant la justice du lieu ou devant le curé et les marguilliers.

VII. Conclusions

  1. Cadre historique, économique
  2. Cadre juridique
  3. Rôle dans l’économie communautaire
  4. Particularités de Messancy : nombre, durée, gestionnaires, documents

Sources des documents

AC : Archives de l’Etat Arlon : fonds des archives de cures

AF :  Archives de fabrique, paroisse Saint Jacques de Messancy

AN : Archives de l’Etat Arlon : fonds des archives notariales

OL : Archives de l’Etat Arlon : œuvres de loi, Messancy

RF :  Archives de l’Etat Arlon : Régime français, carton 107, Messancy, Culte

RFA : Archives de l’Etat Arlon : Régime français, carton 37 – 181, Arlon, Biens nationaux et  couvents supprimés.

RH : Archives de l’Etat Arlon : Régime hollandais, farde 376, Affaires du culte catholique

RV : Registre du curé T. Vance, Archives de cure à Messancy

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Remerciements

Que soient remerciés bien cordialement messieurs J.M. Zimmerman et R. Kirsch, membres du Cercle Historique de Messancy, le premier pour son aide généalogique et bibliographique, le second pour ses traductions de textes rédigés en allemand.

Mes remerciements vont également à monsieur le chanoine Gennart, à messieurs P. Hannick, conservateur des archives de l’Etat à Arlon,  R. Bricart, notaire honoraire à Messancy pour leurs conseils et leurs renseignements.