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La guerre franco-prussienne (1870-71) en province de Luxembourg

La guerre franco-prussienne (1870 – 71) en province de Luxembourg[1]

Christian Moïs

1. Une guerre attendue

Grâce à sa victoire sur l’Autriche à la bataille de Sadowa, en 1866, la Prusse obtient dix états de l’Allemagne du Nord et accroit ainsi notablement son territoire. La politique prussienne est dirigée par le chancelier Otto von Bismarck. Ce personnage influent fut nommé ministre-président et ministre des Affaires étrangères par le roi Guillaume Ier en 1862. Bismarck rêve d’unifier l’Allemagne dans un empire en ralliant les états du sud. En France, cette unification inquiète. L’empereur Napoléon III manœuvre pour la faire échouer. De son côté, Bismarck, par ses discours et par la presse, renforce le sentiment anti-français.

Le trône d’Espagne étant devenu vacant et 1868, le chancelier Bismarck propose à la succession le prince Léopold de Hohenzollern – Sigmaringen, cousin de Guillaume Ier. Ce prince renonce finalement à briguer le trône d’Espagne mais cette candidature irrite Napoléon III qui exige qu’aucun autre prince allemand ne se représente.

En juillet 1870, Guillaume Ier est en cure à Bad Ems où il rencontre brièvement l’ambassadeur de France. Le chancelier Bismarck, qui accompagne le roi, va alors envoyer, le 13 juillet, un télégramme officiel à toutes les ambassades, en s’inspirant d’un article publié la veille par le Deutsche Allgemeine Zeitung. C’est la célèbre « dépêche d’Ems », considérée en France comme injurieuse. Des manifestations éclatent tant à Berlin qu’à Paris où l’ambassade de Prusse est saccagée. Devant le soulèvement populaire, Napoléon III déclare la guerre le 19 juillet 1870.

Les armées françaises sont battues en Alsace mais Metz résiste. Elles doivent reculer sans cesse. Ce conflit sera bref puisque Napoléon III capitule le 2 septembre après la défaite de ses armées encerclées à Sedan. Il sera envoyé à Cassel, détenu dans le château de Wilhelmshöhe.

Le 4 septembre, la république est proclamée à Paris.

Le général Bazaine, qui tenait bon à Metz et avait refusé d’obéir au nouveau gouvernement républicain, doit capituler le 27 octobre. Les troupes allemandes encerclent alors Paris. Le 28 janvier 1871, un armistice général est signé au château de Versailles. Guillaume Ier s’y fait proclamer empereur du deuxième Reich allemand.

Les conditions de la reddition sont draconiennes. La France doit payer 5 milliards de franc-or et les armées allemandes ne se retireront que progressivement, en plusieurs phases, en fonction de l’acquittement des tranches de la rançon. La France perd alors l’Alsace et une partie de la Lorraine.

Les dernières troupes allemandes quitteront le sol français en septembre 1873.

2. La situation en Belgique

Depuis le Traité de Londres de 1839, la Belgique est un pays neutre, neutralité notamment garantie par la France, l’Angleterre et l’Allemagne.

À l’annonce du conflit, le gouvernement belge est inquiet. Il sait que les armées prussiennes sont susceptibles de traverser la Belgique pour attaquer la France. Le maréchal Canrobert a d’ailleurs déployé un corps d’armée à Châlons-sur-Marne pour intervenir en Belgique le cas échéant.

Les réserves d’or de la banque nationale sont immédiatement transférées dans la forteresse d’Anvers. Dans l’armée belge, relativement faible et mal préparée, c’est la panique. Mais le Royaume-Uni fait savoir qu’il garantit la neutralité de la Belgique, ce qui incita les belligérants à ne pas s’engager sur son territoire.

Dès le 16 juillet, la population du Grand-Duché est très inquiète et s’attend à être envahie soit par les Prussiens, soit par les Français. Le pont de Wasserbillig a été détruit. Dans la province de Luxembourg, l’esprit public est excellent.

L’armée belge est mise sur pied de guerre.

Le 17 juillet, une agitation considérable règne à Longwy où l’on attend 6000 hommes. Des wagons de biscuits et de tentes sont arrivés en cours de nuit.

Le 19 juillet, des familles de Luxembourg se réfugient à Arlon, craignant de voir les troupes françaises entrer au Grand-Duché. Les maîtres de forges français et luxembourgeois se sont réunis à Athus. Ils vont mettre hors feu les hauts-fourneaux des bassins de Longwy et Eich.

Les trains d’Arlon ou d’Athus vers Longwy et Luxembourg ne circulent plus.

3. La guerre vécue dans la province de Luxembourg[2]

Le gouverneur, nommé en 1862, est Charles Louis Vandamme. Il est aidé dans ses missions par les commissaires d’arrondissement d’Arlon – Virton, Bastogne, Neufchâteau et Marche.

Le gouverneur reçoit ses instructions du Ministère de l’Intérieur et du Ministère de la Guerre. Les commissaires d’arrondissement et les bourgmestres vont l’informer des situations locales, par télégrammes, parfois codés, et par courrier postal.

Il relaie vers les communes les instructions gouvernementales et prend lui-même diverses initiatives.

Le gouverneur est donc le pivot de toute l’information relative au conflit qui se déroule à nos frontières.

Le lieutenant-général baron Pierre Chazal a été nommé commandant de l’armée d’observation chargée de résister à une éventuelle incursion prussienne. C’est un sujet français contraint à l’exil après la chute de Napoléon Ier. Vétéran des combats de septembre 1830 à Bruxelles, naturalisé belge, il fut Ministre de la Guerre et aide de camp du roi Léopold Ier.

a. Les réfugiés

Dès le début des hostilités, de nombreux citoyens français viennent se réfugier en Belgique. Ils sont hébergés et nourris par la population des villages frontaliers ou par des administrations communales.

Le 23 juillet : la neutralité du Grand-Duché est assurée mais la population locale marque sa sympathie pour la France. Beaucoup de familles quittent la ville de Luxembourg. Des agents prussiens achètent beaucoup de denrées au Grand-Duché. La pénurie commence à se faire sentir dans la capitale et les prix flambent.

Le 16 août, le ministre belge de la guerre annonce que les brigades de gendarmerie de Virton, Arlon et Florenville vont être renforcées pour empêcher les vagabondages.

Le 20 août, de nombreux Français sans papiers entrent en Belgique par Musson et Athus. C’est la panique parmi les habitants de Messancy et Aubange. Le gouverneur donne l’ordre d’augmenter la surveillance par la gendarmerie.

On signale le 23 août que d’Athus à Virton, tous les villages accueillent des émigrés, surtout femmes et enfants. La population essaie de les aider mais les autorités communales sont inquiètes. À Athus, où il n’y a que 4 gendarmes, on a mis sur pied une garde civique.

Le 27 août au soir, les Prussiens sont à 2 km de Longwy. Beaucoup de fuyards français se retrouvent à Arlon. Signeulx, Baranzy et Musson sont envahis d’émigrés français avec meubles et bétail !

Les 30 et 31 août et le 1er septembre, on compte 3000 réfugiés français dans la commune Sainte-Cécile, accueillis par la population. Parmi eux, environ 200 indigents dont la maison a brûlé ou qui ont perdu tous leurs biens. De Florenville à Bouillon, on signale une « énorme agglomération de fuyards français » avec leurs bagages qui encombrent les communes frontalières.

Le 1er septembre, à Florenville, on recense un blessé à l’ambulance dans l’école des filles et 72 réfugiés civils. Le lendemain, environ 2500 civils français sont recueillis à Sugny et y demeurent quelques jours.

Un tragique accident survient à Arlon le 1er octobre. Plusieurs pauvres familles françaises s’étaient réfugiées sous le talus en face de la gare. Le soir, les enfants s’endorment et, soudain, une partie du sable s’éboule. Les ouvriers de la gare accourent et tentent de secourir les enfants. Deux garçons sont décédés, deux autres sont blessés. La famille endeuillée a pu trouver un logement.

Le 27 novembre, le bombardement de Thionville a jeté l’effroi dans la population féminine de Longwy qui part vers Arlon, Virton et Luxembourg. Mais le lendemain, d’après la gendarmerie, il n’y a pas de troupes prussiennes à proximité de Longwy et plus d’exode de population.

Le 29 novembre cependant, le bombardement de Longwy étant imminent, de nombreuses familles gagnent Arlon.

b. Les troupes belges

Rapidement, le gouvernement décide l’envoi d’un « corps expéditionnaire » dans la province. Il est déployé à partir du 29 août. La 3ème division d’observation sera cantonnée en divers endroits. L’état-major du baron Chazal est à Neufchâteau, le 2ème de Ligne déployé entre Suxy et Juseret, le 3ème de Ligne de Chassepierre à Les Bulles, le 4ème de Ligne de Léglise à Assenois, le 8ème de Ligne de Tintigny à Rossignol, le 1er régiment des Chasseurs à cheval, dont l’état-major est fixé à Florenville, aura des escadrons à Florenville, Chassepierre, Izel, Bouillon, Tintigny, Bellefontaine, Etalle, Vance et Arlon. Le 5ème de Ligne ira de Marche sur une ligne de Saint-Cécile à Bouillon, le 3ème Chasseur à pieds dans la région de Bertrix – Paliseul, le 9ème de Ligne de Namur sera déployé vers Opont, Porcheresse, le 11ème de Ligne vers Redu et Saint-Hubert ; le bataillon de carabiniers stationné à Habay ira vers Daverdisse.

Le 2 septembre on note des mouvements des troupes belges : le général Chazal va établir son QG entre Bure et Rochefort où un camp sera être dressé. Une partie de la cavalerie stationnée à Arlon se rend à Virton. La moitié du bataillon de carabiniers se rend à Tintigny. Les Lanciers se rendent à Bouillon ; ils seront suivis par les Chasseurs et les Guides. Un camp sera établi entre Libin et Transinne.

Selon un rapport du bourgmestre de Neufchâteau daté du 1er octobre, les troupes belges sont logées en ville depuis 2 mois (jusque 500 hommes).

Le 21 octobre, le 3ème régiment des Chasseurs à pied vient en garnison à Arlon.

Le 2 décembre, ce régiment et 2 compagnies de carabiniers renforcent différentes douanes. Les compagnies sont basées à Aubange, Bleid, Virton, Lamorteau, Gérouville, Villers-devant-Orval, Florenville, Chassepierre, Sainte-Cécile, Sugny et Corbion.

c. Les frontières

Le gouvernement belge veut à tout prix éviter des incidents avec les belligérants. Il va donc demander, par l’intermédiaire des gouverneurs, de signaler le mieux possible les limites du territoire. Les douaniers sont aussi sur le qui-vive pour refouler les soldats des deux camps qui, souvent par mégarde, passeraient la frontière.

Les conséquences sanitaires ne sont pas négligées. Des soldats morts sont enterrés à la hâte du côté belge et des chevaux viennent mourir sur le sol provincial. Il faut donc éviter que des épidémies ne se propagent.

Le 29 août, suite aux instructions ministérielles, le gouverneur demande à toutes les communes voisines des hostilités (d’Aubange à Rochehaut) d’arborer le drapeau belge sur les clochers, de mettre un drapeau blanc à chaque maison et de planter des « perches de signal » portant le mot « Belgique » le long de la frontière. Il enverra un rappel de ces instructions le 21 décembre.

Le 1er septembre, des soldats français et quelques prussiens passent en Belgique. À Corbion, 100 soldats français ont déposé les armes et ont été dirigés vers Bouillon ; quelques blessés sont à l’ambulance installée dans l’église. À Sugny, 2 cavaliers prussiens et 8 cavaliers français, armés, sont passés par le village. Puis vers 11h, 6000 soldats français avec canons et caissons ont traversé Sugny pour aller à Mézières.

Le 2 septembre, des gardes-champêtres de Sugny qui montaient la garde près de chevaux et caissons abandonnés dans les bois ont été entourés par des Prussiens qui les obligèrent à renvoyer les chevaux en territoire français.

Les 3 septembre, les soldats belges ont amené à Florenville 6 soldats prussiens égarés. Ils ont été reconduits à la frontière.

Le 4 septembre, à Halanzy, le bourgmestre signale qu’aucune armée étrangère n’est passée par la commune. Il y a environ 200 réfugiés et 150 bêtes mais pas de soldats blessés. Ce même jour, dans la région de Bouillon, beaucoup de soldats français et 15 soldats allemands ont pénétré en Belgique puis sont repassés en France. Un soldat allemand, blessé, a été recueilli par la population. Le bourgmestre de Virton annonce que 3000 Prussiens ont été vus à la Malmaison, à 500 m de la frontière près de Ruette.

Le 5 septembre, selon une lettre du bourgmestre de Bouillon au gouverneur, les communes frontalières de Corbion, Alle, Sugny et Pussemange sont encombrées de matériel abandonné par les Français. Des cadavres d’hommes et de chevaux jonchent les routes. Tout cela est livré au pillage. La ville de Bouillon est envahie par des hommes valides et blessés. Le problème majeur est le ravitaillement : « il faut nous envoyer des vivres » dit le bourgmestre.

Le 9 décembre, à Bouillon, un groupe de 50 francs-tireurs français pénètre en Belgique près de la douane de Beaubru. Ils ont été renvoyés en France par les douaniers. Ils se seraient emparés de la malle-poste Sedan – Bouillon.

Du 12 au 16 décembre, des convois de chariots chargés de vivres, venant notamment d’Arlon, ont transité par Virton pour aller ravitailler les troupes allemandes qui assiègent Montmédy.

d. Les soldats déserteurs, prisonniers et évadés

De nombreux soldats français, peu de prussiens, quittent le champ de bataille et se réfugient en Belgique. Ils ont parfois revêtu une tenue civile. Certains viennent déposer les armes : ils sont alors pris en charge par l’armée belge et regroupés à Namur dans la citadelle pour les soldats, dans des hôtels pour les officiers[3].

À Bouillon, 150 cuirassiers, dragons, canonniers français avec 12 officiers et 80 chevaux ont été pris en charge par le 5ème de Ligne le 1er septembre. Une autre partie de ce régiment s’est réfugiée à Rochehaut. À Corbion, des officiers, soldats et francs-tireurs sont venus déposer leurs armes (exténué et affamés). Ils ont été conduits à Bouillon après avoir été ravitaillés. Une ambulance, établie dans l’église, a soigné des blessés. À Florenville, 29 soldats français ont déposé les armes.

Le 4 septembre à Corbion, 100 Français sont venus déposer leurs armes. Ils ont été dirigés vers Bouillon. Une ambulance avec un médecin et un aumônier est installée dans l’église.

D’autre part, 3 officiers et quelques soldats prussiens, en plus de 200 soldats français, se sont réfugiés à Bouillon.

Le bourgmestre de Chassepierre constate le 5 septembre, le passage dans sa commune de nombreux déserteurs français et prussiens. Il demande au gouverneur ce qu’il doit en faire. Comme c’est l’autorité militaire qui est seule compétente, un télégramme a été envoyé au colonel commandant la province.

Ce même jour, à Redu, il n’y a pas de réfugiés civils mais la population voit passer un convoi de 1000 hommes et 750 chevaux français escortés par des chasseurs belges.

Le 8 septembre, 22 soldats français en civil sont à Virton. Le bourgmestre demande au gouverneur qu’en faire. Réponse : remettre au chef de poste militaire.

Le gouverneur écrit au bourgmestre d’Arlon le 20 septembre, suite à des consignes reçues du Ministère des Affaires Étrangères. Les nombreux soldats français, munis d’un sauf-conduit prussien et en habit bourgeois, qui passent par Arlon pour se rendre dans le Nord de la France doivent être remis à l’autorité militaire, en raison de la neutralité de la Belgique.

Le 15 septembre, le bourgmestre de Virton avertit le gouverneur qu’un 5ème convoi de prisonniers français (87) a été dirigé vers Namur sous escorte militaire. Il reste à l’hôpital 6 ou 7 Français. Le 18, un 6ème convoi de Français par pour Namur. Il reste encore quelques soldats à la caserne de gendarmerie.

Le 28 septembre, le bourgmestre de Virton demande au gouverneur « que faire des prisonniers français évadés entrant avec des vêtements civils ? ». La gendarmerie doit-elle s’en occuper ? Que faire quand ils sont dépourvus d’argent ?

Le 15 octobre, le bourgmestre de Meix-devant-Virton signale au gouverneur que plusieurs centaines d’hommes, sans arme, sont passés de nuit pour se diriger vers Marbehan.

Selon un télégramme codé envoyé au gouverneur le 2 novembre, des officiers français « déguisés » arrivent de plus en plus nombreux à Arlon par train, à cheval ou à pied avec bagages.

Le 7 novembre, la commune signale que deux sujets français s’occupent de recueillir à Arlon des soldats échappés de Metz après la capitulation. Ils leur fournissent le moyen de rejoindre Lille. L’échevin Sonnetty se demande si ce comportement est contraire à la neutralité de la Belgique.

Le 17 décembre, le bourgmestre signale que chaque jour, 15 à 25 Français passent par Arlon pour se rendre à Lille. On suppose que ce sont des prisonniers qui ont réussi à échapper aux Prussiens. Au Grand-Duché, les soldats français évadés reçoivent des habits civils puis partent vers Lille via la Belgique. Les jeunes gens originaires d’Alsace et Lorraine qui veulent rejoindre l’armée française à Lille reçoivent un passeport du consul de France à Luxembourg.

Un homme se faisant appeler Wallerand, qui serait un officier français, aide ces hommes ainsi que des familles de réfugiés.

Près d’Athus, 234 militaires français ont été arrêtés par les troupes belges et conduits à Namur.

Le Ministère de l’Intérieur envoie de nouvelles directives au gouverneur le 31 décembre : tous les blessés, français et prussiens, devenus valides doivent être remis à l’autorité militaire. Les soldats qui entrent en Belgique seront internés ; les officiers seront laissés libres s’ils donnent par écrit leur parole d’honneur de ne pas quitter la Belgique avant la fin des hostilités.

e. Les blessés et le service de santé

Beaucoup de blessés seront, durant les combats, recueillis par la population et soignés dans des hôpitaux de fortune. Le Royaume-Uni enverra du personnel de santé pour dispenser des soins.

Le 26 août au soir, 6 officiers de santé, une vingtaine d’infirmiers et huit soldats français blessés sont passés par la gare d’Arlon, venant de Luxembourg et se dirigent vers Givet. Ils étaient sans arme.

Le 2 septembre, cinq soldats français et un prussien, blessés, ont reçu des soins dans la maison communale de Sugny. Le lendemain, on signale que 5 médecins et 12 infirmiers prussiens, munis de sauf-conduits, sont passés par la gare d’Arlon pour aller à Carignan.

Le gouverneur sollicite les communes frontalières le 4 septembre afin de prévoir des locaux pour, le cas échéant, recevoir des blessés : Virton, Villers-la-Loue, Lamorteau, Gérouville, Villers-devant-Orval, Chassepierre, Muno, Bouillon, Corbion, Pussemange et Sugny.

Le bourgmestre de Villers-devant-Orval répond qu’il prépare l’école des garçons ; les maisons particulières sont encombrées par les réfugiés français.

Des ambulances allemandes étaient installées à Bouillon, commandées par le baron von Thettan. Le général baron Chazal l’a rencontré le 12 septembre.

Une ambulance anglaise a installé son QG à Arlon le 26 septembre, sous la direction du capitaine Brackenburg. Elle procède à « de généreuses distributions ».

Selon une enquête expédiée d’Allemagne le 23 septembre, en réponse à la presse belge qui se félicite de l’accueil des blessés, des officiers allemands protestent en décrivant le calvaire de soldats allemands amenés à Bouillon, sous la pluie, dans un chariot sur la paille. Le médecin qui les accompagnait demanda que ces hommes bénéficient d’un toit pour la nuit suivante mais on lui répondit d’abord négativement. Les blessés furent finalement conduits dans une caserne où ils reçurent du pain et du café. Ils furent ensuite conduits à la gare. Sur le trajet, plusieurs patrouilles belges arrêtèrent le convoi en cherchant la présence d’armes sous la paille. Ils arrivèrent à Libramont où ils furent chargés dans des wagons à marchandises. Les officiers allemands parlent d’un traitement inhumain en Belgique.

Dans un journal de Cologne, on rapporte même que la population de Bouillon insultait les blessés prussiens, leur jetait des pierres et s’emparait de leurs bagages. Les autorités communales ne seraient pas intervenues et c’est grâce à un officier belge que le convoi a pu reprendre sa route.

Mais un autre groupe assure qu’il fut bien accueilli par les autorités militaires tant à Bouillon qu’à Libramont et Liège.

Le Ministère de l’Intérieur demande que les communes, les hôpitaux et les particuliers qui ont recueilli des blessés allemands en fasse la déclaration au Département de la Guerre.

Du 6 au 16 septembre, des blessés français et allemands sont recueillis à l’infirmerie de Bouillon (168), à l’école communale de Neufchâteau (37), à l’ambulance de Villers-devant- Orval, à Gérouville.

Le 12 septembre, le gouverneur est prévenu par télégramme chiffré qu’un convoi de blessés prussiens est passé par Florenville. Des pansements ont été refaits et pendant ce temps, deux sabres, un manteau et des bottes ont été volés à deux officiers. Les voleurs ont été pris et remis à la Justice.

À Aubange et Messancy, il n’y a pas de local disponible pour accueillir des blessés.

Le bourgmestre de Neufchâteau signale le 1er octobre que les blessés sont logés dans les écoles. Il y a eu deux 2 décès, 1 Français et 1 Allemand. Ces soldats ont été enterrés avec les honneurs militaires. Par ailleurs, de nombreux convois de blessés et prisonniers ont traversé la ville et la population leur est venue en aide.

Le 1er octobre, 20 soldats français blessés ont été recueillis à La Soye par monsieur Guichard.

Le 19 décembre, 187 soldats infirmiers venant de Metz avec un sauf-conduit prussien passent par la gare d’Arlon en direction de Lille.

Le 5 janvier 1871, 218 officiers et soldats du service de santé français, en uniforme mais sans arme, sont passés par la gare d’Arlon, venant de Metz et Longwy, pour se rendre à Lille.

Le 3 février, une ambulance française comprenant 92 sous-officiers et infirmiers, composée de 59 voitures, venant de Metz par la route, passe la nuit à Arlon. Dans l’après-midi du lendemain, elle embarque dans un train à destination de Lille.

Le 6 février, une autre ambulance française venant de Metz, sous la direction d’un capitaine d’administration, avec 3 sergents, 5 caporaux et 56 infirmiers, conduisant 112 voitures, des caissons et 56 mulets passe la nuit à Arlon avant d’être chargée sur un train pour Lille.

Le 9 février, une ambulance venant de Metz par la route arrive à Arlon et prend le train pour Lille. Le 12, c’est une petite ambulance venant de Longwy qui stationne à Arlon en attendant de prendre le train pour Lille.

f. Autres faits

Le baron de Beyens, ministre de Belgique en France, a rencontré à Messancy le directeur des services télégraphiques de France le 26 août.

Le 4 septembre, Napoléon III s’est arrêté à Bouillon. En descendant de voiture, il chancelait et dut être soutenu par ses aides de camp. Il a passé la nuit à Bouillon puis a pris le train vers Cassel en passant par Libramont où il est monté dans un train spécial composé de voitures d’État et d’une berline royale.

Des chevaux provenant des belligérants ont été trouvés à Sugny. Des bœufs blessés et une génisse erraient aussi dans les bois du village ; ils ont été vendus publiquement par la commune.

Le 19 septembre, le Génie place des mines sous les voies du chemin de fer Arlon – Luxembourg, près de Weyler.

Le 15 janvier 1871, la place forte de Longwy est attaquée ; beaucoup d’émigrés fuient dans les villages à la frontière. Une épidémie de variole s’est déclarée à Mussy-la-Ville (80 cas, 10 décès)

Les Prussiens ont fait sauter le pont de Mont-Saint-Martin ; début du bombardement de Longwy.

La presse relate le 20 janvier 1871 que beaucoup de curieux prennent le train à Arlon jusqu’Athus pour aller voir la destruction de Longwy. « Partant à pied depuis la gare sur la voie de chemin de fer inutilisée, on arrive entre Longlaville et Mont-Saint-Martin où des soldats prussiens nous laissent passer mais nous recommandent d’être prudents. On entend siffler les balles ».

Le 24 janvier, c’est la reddition de la place-forte de Longwy.

Le 6 mars, on frôle l’incident diplomatique selon un rapport de gendarmerie et une lettre du Lieutenant- colonel commandant le 2ème Régiment de Ligne au Ministre de la Guerre ! La musique du 2ème Régiment de Ligne casernée à Arlon a été invitée par des officiers prussiens à donner un concert à Longwy, concert suivi d’une collecte au profit des blessés des deux camps. Une douzaine de musiciens s’y sont rendus habillés en civil, pour fêter « les réjouissances de la paix ». À leur arrivée en gare de Longwy, ils sont pris à partie par des habitants qui leur donnent des coups de bâton et leur jettent des pierres. Leurs instruments sont saisis, brisés ou jetés à la rivière. Les musiciens ont dû prendre la fuite dans toutes les directions pour échapper à ces « brutes » dont plusieurs étaient munis de révolver. Des cavaliers prussiens sont arrivés pour rétablir l’ordre. Le commandant prussien de la place de Longwy a envoyé un lieutenant de cavalerie à Arlon pour présenter des excuses.

g. Le trafic d’armes

Depuis fin septembre 1870 jusque fin novembre, un trafic clandestin, surtout fusils français Chassepot, se déroule à Bouillon. Les armes sont vendues par « la classe ouvrière » de Bouillon et des sujets français venant des communes limitrophes à un armurier de Bouillon et à des commerçants de la région liégeoise et de Bruxelles.

Le commissaire d’arrondissement de Neufchâteau se rend à Bouillon le 21 décembre et fait rapport au gouverneur. Après la bataille de Sedan du 1er septembre, des milliers de curieux se sont rendus sur les lieux et ont emporté armes et objets sans aucune opposition des soldats de l’armée prussienne qui se faisaient un plaisir de donner des fusils aux visiteurs ! On estime à 28000 le nombre de fusils Chassepot vendus à Bouillon ! Les fusils allemands, n’ayant pas de valeur, ne firent pas partie du trafic. Le commissaire de police de Bouillon a laissé faire : il est même peut-être intéressé par ce trafic.

Le 17 janvier 1871, il y a encore beaucoup d’étrangers à Bouillon pour acheter armes, selles, gibernes ramassées sur le champ de bataille.


[1] La guerre a été déclarée entre la France et la Prusse. Elle est donc généralement appelée « guerre franco-prussienne ». Mais d’autres états allemands comme la Bavière, le duché de Bade, le Wurtenberg se sont joints à la Prusse. Certains auteurs parlent donc de « guerre franco-allemande ». La création de l’empire en janvier 1871 a confirmé cette notion.

[2] Sauf mention contraire, les données historiques proviennent des Archives de l’État à Arlon (AÉA), fonds des cabinets des gouverneurs de la province de Luxembourg. Ce fonds est en cours de classement. La cote provisoire du dossier utilisé pour ce travail est : II G a (Gouverneur Vandamme, Guerre 1870). Nous avons aussi consulté des journaux d’époque : l’Écho du Luxembourg, l’Écho du Parlement, l’Indépendance belge (KBR – Belgicapress).

[3] Istasse C., Namur durant la guerre franco-prussienne de 1870-1871, Cahiers de Sambre et Meuse, n°4, 2013