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Le Pôle Européen de Développement a 30 ans : quel bilan tirer ?

Paru dans la Chronique 27 de 2015

Le Pôle Européen de Développement (PED) a été officiellement porté sur les fonts baptismaux le 19 juillet 1985. Cela fait donc 30 ans qu’a été lancée cette expérience assez unique de redéploiement économique tri-national d’un bassin de vie qui, à la fin des années 1980, fut durement touché par la crise de la sidérurgie européenne. Celle-ci s’inscrivait certes dans la première crise mondiale du pétrole et du renchérissement du prix des matières premières[1]mais elle condamna irrémédiablement les usines continentales aux coûts de production devenus non concurrentiels.

C’est en effet dans la disparition quasi-totale des usines du bassin lorrain entraînant la perte brutale de plus de 30.000 emplois directs, qu’il faut rechercher la cause de l’émergence du PED.

Le bassin ferrugineux lorrain s’étendait sur trois pays, de Pompey (près de Nancy) à Athus en passant par Esch-sur-Alzette. Aujourd’hui, les plus jeunes ont peine à imaginer le chapelet de mines et d’usines qui s’égrenait sur notre territoire pendant plus d’un siècle engendrant la richesse de notre région. Ce bassin était alimenté par la « minette », un minerai  très pauvre, découvert en 187O dans la région de Briey. Cette faible teneur en fer explique partiellement les difficultés de la sidérurgie régionale qui fut obligée, dans les années 50-60 de se fournir en minerai mauritanien ou suédois, plus riche mais beaucoup plus onéreux à cause des frais de transport. En outre, la plupart de nos unités de production avaient été confinées dans la fabrication de produits (surtout longs) très sensibles aux crises conjoncturelles. Et lorsque l’économie mondiale entra en crise, nos « vieilles » installations furent les premières frappées. La liste du martyrologue des usines sacrifiées sur l’autel de la compétitivité est effrayante. En France, tout le bassin de Longwy fut rayé de la carte. En Belgique, la fermeture de l’usine d’Athus, le plus gros employeur de la province de Luxembourg, traumatisa toute la population. Au Grand-Duché, l’instauration d’un amortisseur social, la Division Anti-Crise, cofinancé par l’Etat, permit de limiter la casse en offrant aux sidérurgistes des emplois publics temporaires.

La catastrophe ainsi que sa cause étaient donc communes aux trois pays. Peu-à-peu s’installa l’idée qu’il fallait  « faire d’une communauté de problèmes une communauté de destins »selon l’expression restée célèbre de Jacques Chérèque,[2]un ancien dirigeant de la CFDT française, que le président François Mitterand avait nommé préfet délégué au redéploiement économique de la Lorraine française. Ce furent deux autres « Jacques » qui, l’un en Belgique, l’autre au Grand-Duché, relayèrent l’idée et convainquirent leurs instances nationales respectives: le gouverneur de la province de Luxembourg Jacques Planchardainsi que Jacques Santer, premier ministre grand-ducal.

Il est vrai que, malgré le drame économique, la région avait pas mal d’arguments à faire valoir, à commencer par sa situation stratégique au cœur de l’Europe occidentale. Petit-à-petit émergea donc la conviction qu’il fallait faire appel à l’Europe pour aider au redéploiement du bassin. Le levier financier qui pouvait être actionné avait pour nom FEDER(Fonds Européen de Développement Régional) créé en 1975 pour aider les régions d’Europe en crise à résorber leurs handicaps structurels. Le caractère transfrontalier des projets déposés à l’Europe constituait un atout certain pour être retenus. Des experts des trois pays furent chargés de réfléchir à un projet global, non seulement destiné à attirer de nouvelles entreprises mais à permettre le développement pérenne de toute la région sinistrée.

Comme dit plus haut, la Déclaration Commune instituant le P.E.D. fut signée à Luxembourg le 19 juillet 1985 par les plus hauts représentants des trois pays, notamment Gaston DEFERRE, ministre du Plan pour la France, Jean-Maurice DEHOUSSE, président de la Région Wallonne pour la Belgique et Jacques SANTER pour le Grand-Duché. Les co-signataires s’engagèrent parallèlement à déposer pour le 31 décembre de la même année un « Programme National d’Intérêt Communautaire »  (PNIC), définissant pour chaque pays les diverses actions que la Communauté européenne financera. Les trois « PNIC » seront approuvés fin 1986 pour être intégrés au sein d’un programme commun. Pour manager l’ensemble de l’opération, une structure transfrontalière unique fut mise sur pied : la Commission Permanente de Coordination (CPC), la gestion journalière étant confiée à une équipe technique. Pour la partie belge, ce seront les experts de l’Intercommunale IDELUX qui y siégeront.

La formidable opération de redémarrage économique de la région des Trois Frontières pouvait démarrer. La   première échéance (et donc la première évaluation) était fixée au 31 décembre 1990.

Quelle était l’ambition initiale ?

L’objectif  était de créer 8000 emplois nouveaux (5500 en France, 1500 en Belgique et 1000 au Grand-Duché) sur une aire géographique clairement définie qui s’étendait sur un rayon de 25 km autour du cœur de la zone sinistrée, à savoir les communes de Pétange (L), Aubange (B) et Longwy (F). La zone d’influence du PED était donc très large et comprenait également d’autres communes importantes comme Esch-sur-Alzette, Differdange, Mont-saint-Martin, Arlon ou Virton.

Ces 8000 emplois seraient créés sur le Parc International d’Activités (PIA), 400 ha de friches industrielles à reconvertir qui s’étalaient comme un chancre gigantesque à cheval sur les trois frontières : 150ha en France ainsi qu’en Belgique, 100 ha au Grand-Duché.  Encore fallait-il attirer et accueillir les nouvelles entreprises.

Le programme commun reposait sur une stratégie intégrée de six volets complémentaires : assainissement des friches industrielles, aides à l’investissement cofinancées par l’Europe, reconnaissance d’un régime douanier spécifique,[3]amélioration des infrastructures de transport, création de services communs aux entreprises, mise en place de formations répondant aux besoins de ces entreprises. Ce dernier axe était entre les mains du Collège Européen de Technologie (CET)qui allait faire de l’excellent travail durant ses années d’existence.

Les aides financières étaient évidemment décisives pour attirer de nouveaux employeurs. L’Europe autorisa donc le relèvement des aides nationales à concurrence de maximum 37,5% du montant de l’investissement. Elles étaient de nature différente selon le pays concerné : exonérations fiscales diverses, participation au capital, leasing immobilier, prêts participatifs à taux préférentiels, aides à l’embauche ou à la formation… Le souci restait bien évidemment que le Grand-Duché conservait son avantage fiscal au moment de l’imposition annuelle.

On l’aura compris : la tâche primordiale était de mettre à disposition des entreprises des sites assainis, équipés et efficacement connectés aux réseaux de transports internationaux. Les divers travaux d’infrastructures nécessaires étaient pris en charge à raison de 50% par la communauté européenne, les 50% restants étant financés par les trois états. Ces travaux prendraient évidemment plusieurs mois. Afin de ne pas perdre le bénéfice des subventions européennes, les trois pays définirent donc des zones transitoires un peu plus éloignées pouvant obtenir les mêmes aides. Parmi ces  investissements financés ailleurs avec les aides FEDER : FERRERO à Arlon, MOBIL à Virton, AMPACET à Messancy ou encore DAEWOO à Villers-la-Montagne.

Sur le PIA proprement dit, lorsque fut réglé le problème de propriété des divers terrains industriels, d’immenses travaux d’assainissement et d’équipement purent commencer. Le raccordement du site aux autoroutes ainsi qu’aux réseaux européens de chemin de fer, permirent le désenclavement définitif du PED. Fin 1990, au moment de faire le point sur les résultats engrangés, les responsables se félicitaient des premières créations d’emplois. Malheureusement, nombre d’entreprises qui s’installèrent à l’époque sont aujourd’hui disparues, du côté belge (US GYPSUM, GLAVERBEL) mais surtout du côté français (DAEWOO, PANASONIC, JVC).

Entretemps, en 1989, eut lieu un évènement décisif pour l’avenir du PED : la réforme des fonds structurels d’aides européennes. L’entrée de nouveaux états-membres, moins développés, (Grèce, Portugal, Espagne) poussa en effet la commission à mieux cibler ses aides pour les réorienter vers les pays méridionaux. Les aides directes à l’investissement n’étaient plus autorisées. Avec cette réforme, le PED devenait ni plus ni moins attractif que d’autres régions d’Europe. Il perdait en tout cas le caractère de primauté que la première crise du pétrole lui avait conféré au départ. Certes, le PED pouvait toujours émarger au nouveau programme appelé « Objectif 2 »,  toujours destiné à aider les régions en déclin industriel. Cependant, le périmètre d’intervention était beaucoup plus restreint. Ainsi, pour la Belgique, seule la commune d’Aubange pouvait encore y accéder. Il fallait néanmoins ne pas laisser passer cette deuxième opportunité. C’est ainsi qu’en 1991, l’Equipe Technique internationale présenta à la Commission la phase II de l’opération PED. Elle fut approuvée mais les moyens étaient beaucoup plus limités et ne concernaient plus l’implantation directe d’entreprises mais bien l’amélioration de l’environnement économique en général. En fait, les responsables locaux sentaient bien que l’économico-financier cédait le relais à l’aménagement du territoire et à la collaboration politique. En effet, parmi les projets retenus par la Commission européenne, figurait la constitution d’une Agglomération transfrontalière qui avait pour ambition de développer autour du noyau urbain de Longwy, Aubange, Pétange une agglomération forte de plus de 130000 citoyens. Aujourd’hui, on doit malheureusement reconnaître que ce magnifique projet est en panne de moyens mais aussi d’initiatives.[4]

De 1991 à nos jours, outre les aides FEDER toujours d’actualité, divers investissements mais aussi nombre d’études bénéficièrent des aides successives des programmes INTERREGréservés à la coopération transfrontalière. Las, s’il y eut quelques réussites, peu de réalisations concrètes virent le jour.

Alors, pour revenir à mon interrogation initiale, peut-on aujourd’hui considérer le PED comme une belle réussite ou un semi-échec ? Répondre à cette question n’a de sens que si l’on se rappelle, à la sortie des années 198O, quel était l’état déprimant de notre région.

Certes, on peut dire que l’objectif de création de 8000 emplois sur dix ans n’a pas été atteint. Certes, on peut regretter que quelques entreprises profitèrent de l’effet d’aubaine des aides financières et se hâtèrent de délocaliser lorsque celles-ci cessèrent. Certes, on peut dire que, si la région a retrouvé un certain développement (très fragile d’ailleurs), c’est grâce à l’extraordinaire expansion économique du Grand-Duché voisin. Tout cela est réel. On peut aussi se poser la question de savoir ce que serait devenu le redéploiement du PED si on avait misé plus sur le développement endogène, à savoir nos PME et nos PMI plutôt que sur des multinationales grandes ou moyennes dont on connaît la propension à délocaliser lorsque leurs coûts de production ne sont plus concurrentiels. On peut enfin avoir des regrets sur l’arrêt de l’expérience du Collège Européen de Technologie qui était une expérience intéressante de collaboration transfrontalière en matière de formations techniques.

Mais lorsqu’on voit les acquis engendrés par le PED, on peut dire sans se tromper que la balance penche bien du côté positif. Toutes nos friches industrielles ont disparu et sont remplacées par un immense zoning bien aménagé. Notre région est définitivement mieux reliée au reste de l’Europe avec des réseaux de communication modernes. Après 10 ans, 2906 emplois furent tout de même créés redonnant du pouvoir d’achat à notre population. La bonne réflexion n’est-elle finalement pas celle de Jacques CHEREQUE dans son livre « La Rage de faire »[5] : « (…) Il est faux de dire que l’agglomération a raté sa reconversion (…) Et si le pire a pu être évité, c’est bien au PED qu’on le doit ! ». Autrement dit, que serait devenue notre région si le PED n’avait pas existé ?


[1]Au cours du premier semestre 1974, le prix du fuel s’accrut de 40%, celui du coke de 35%, celui du Kw/h de 70%.  Le coût de la ferraille doubla.

[2]Jacques Chérèque est aussi, en tant que Ministre de l’Aménagement, le commanditaire d’une étude de l’Université de Montpellier sur la place des agglomérations en Europe qui conclut un espace de croissance allant du sud de l’Angleterre au nord de l’Italie en passant par le bassin rhénan. Jacques Chérèque qualifiera cette vaste zone de « Banane bleue », une expression qui fera florès à l’époque.

[3]Ce régime douanier était celui de la « zone franche » qui permettait la non-perception temporaire des droits d’accises.  Il ne fut quasi pas utilisé.

[4]Si vous souhaitez en savoir plus sur l’agglomération transfrontalière, vous lirez utilement mon ouvrage intitulé « PED, une agglomération transfrontalière, utopie ou espoir ? » disponible chez l’auteur.

[5]« La Rage de faire » de Jacques Chérèque, aux éditions Balland 2007.

Jean-Paul Dondelinger